Londres, 1200
mes fidèles yeomen, pauvres hors-la-loi saxons poursuivis et
traqués comme des bêtes fauves. C’est là qu’il me pardonna d’avoir pris les
armes contre le shérif de Nottingham et qu’il me rendit mes titres et mes
domaines.
— Je composerai une ballade sur tes exploits,
mon ami, lui promit Guilhem. Mais qu’est-il advenu de la commune de
Londres ?
— Jean résolut d’obtenir le pardon de son
frère en trahissant ses alliés qu’il fit arrêter et massacrer. Quant à Lucas de
Beaumanoir et à ses complices, ils furent exilés en France, mais nous savons
qu’ils étaient restés en relation avec leur maître. Cependant, malgré ses
démonstrations de repentir, Richard n’accorda aucune confiance à Jean. Quant à
la commune de Londres, sa liberté tomba en désuétude sans qu’il y eût besoin
d’un acte formel. Hélas, Richard commença bien mal son nouveau règne en
écrasant d’impôts son peuple pour soutenir la guerre contre le roi de France. À
sa décharge, Jean avait laissé les caisses vides. C’est peu après que mon
épouse Marianne est morte…
Il eut un long regard d’affection envers Anna
Maria.
— … Et que je décidai de partir en Palestine
avec un compagnon fidèle, Petit Jean, d’où je ne suis rentré qu’il y a deux
ans.
Chapitre 23
L a
nef poursuivait sa course au milieu du fleuve, se rapprochant du grand pont de
pierre érigé sur une vingtaine de piles. Plusieurs voûtes n’étaient pas
terminées, mais une passerelle permettait de la franchir, car on apercevait
chariots, piétons et cavaliers qui circulaient d’une rive à l’autre. Quant aux
voûtes existantes, elles étaient étroites et de médiocre hauteur. La nef ne
pourrait les franchir et Guilhem s’interrogea sur ce qui allait se passer.
À chaque extrémité du pont s’élevaient des maisons
de bois. Sur une des premières arches de la rive gauche se dressait une tour
fortifiée. Vers l’autre rive, une forêt d’échafaudages reposait sur une pile
plus large que les autres et une armée de maçons édifiait une église.
La nef dépassa un vieux pont de bois dont le
tablier avait été rompu en son milieu pour laisser circuler les embarcations. À
partir de là, les rameurs de l ’Anatasie forcèrent la nage car le courant
devenait de plus en plus puissant. En même temps, le capitaine manœuvrait pour
amener la grande barque entre deux piliers. À cet endroit s’élevait une tour de
bois avec une terrasse crénelée au sommet de laquelle étaient plantées de longues
perches. Guilhem crut qu’elles servaient à attacher des étendards jusqu’à ce
qu’il distingue des têtes humaines à leur extrémité.
— Des larrons ? demanda Bartolomeo qui
venait aussi de les remarquer.
Cette exposition ne le rebutait pas, puisqu’il
était habituel de démembrer les condamnés et de clouer mains et têtes sur les
portes des villes ou des châteaux.
— Possible, répondit Locksley, regardant à
son tour. Mais comme Jean fait subir à ses ennemis le sort réservé aux
estropiats, il y a certainement là-haut quelques têtes de barons qui se sont
opposés à lui. J’aurais pu y être, fit-il en tirant la langue d’un pendu, ce
qui fit rire tout le monde sauf Anna Maria et Ranulphe.
Comme la nef se rapprochait des piliers du pont,
Guilhem s’aperçut qu’ils étaient érigés sur des soubassements de pierre cerclés
de pieux de chênes, ce qui réduisait encore l’espace sous les arches. Quant à
la hauteur, elle était bien insuffisante pour le mât du navire. De plus, le
courant puissant faisait tanguer la nef.
— Comment allons-nous passer ?
s’inquiéta-t-il.
— Cette bâtisse en bois s’appelle Drawbridge
Gate, mon ami, expliqua Locksley en désignant la tour aux têtes coupées. En
langue d’oïl, on la nommerait la tour du Pont-levis.
La nef s’approcha encore et un homme descendit par
une échelle sur le soubassement de la pile. Le pilote lui jeta deux pennies
d’argent et l’autre cria un ordre en lui lançant des cordages. Immédiatement,
dans un long grincement, une partie du tablier se releva, tiré par des chaînes
accrochées à la tour. Les marins utilisèrent alors adroitement les cordes et
leurs rames pour passer entre les piles sans que la coque heurte les bords,
malgré la force du courant.
— Ce pont a dû coûter une fortune, s’inquiéta
Jehan le Flamand qui savait ce que payaient les bourgeois parisiens pour les
travaux de construction de
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