L'or de Poséidon
bénéficiaient d’une salle particulière où ils dominaient de très haut le commun des mortels. Jupiter, Junon et Minerve, cette bonne vieille triade romaine, trônaient dignement, en compagnie d’une impressionnante Athéna en partie sculptée dans l’ivoire. Je fus contrarié de remarquer l’absence d’un dieu de la mer malgré la présence d’un bassin. Pour me consoler, je me dis qu’il était peut-être à l’atelier pour être nettoyé.
Toutes ces statues étaient admirables. Nous n’avions pas le temps de vérifier combien étaient originales et combien il y avait de copies, mais qu’importe : les reproductions étaient excellentes et procuraient la même joie.
Cependant, ma capacité à admirer avec déférence a toujours eu ses limites. Je suis rapidement saisi du besoin de détendre l’atmosphère.
— Comme dirait M’an, je suis content de ne pas être celui qui doit dépoussiérer tout ça chaque matin !
— Chuuut ! Un peu de tenue !
C’était là l’un de mes nombreux sujets de dispute entre mon père et moi. Dans la vie courante, il se montrait aussi astucieux et cynique que moi, mais dès qu’il était question d’art, il devenait le dernier des snobs. Pourtant, après avoir vendu des antiquités à des crétins pendant quarante ans, il aurait dû être capable de faire preuve d’un peu plus de discernement envers les collectionneurs.
Nous étions sur le point de quitter le Hall des Dieux, quand les propriétaires jugèrent le moment opportun de faire leur apparition. Ils nous avaient laissé le temps de béer d’admiration. Par principe, je tentai d’adopter un air complètement indifférent, mais j’ai peur de n’avoir réussi à tromper personne. Une de leurs raisons pour laisser leurs visiteurs admirer cette collection était de les déstabiliser en leur permettant d’imaginer la fortune qu’il avait fallu investir pour la réunir.
Ils arrivèrent donc ensemble. Mon père m’avait déjà prévenu que j’allais rencontrer deux personnes entre lesquelles le bon goût du mari et l’argent de la femme avaient tissé des liens solides. Ce fut surtout lui qui parla, mais la présence de son épouse restait palpable. Les liens qui les unissaient étaient effectivement tangibles et pouvaient se résumer à l’appât de la possession. C’était là, dans l’air, comme l’odeur d’une maladie incurable.
Cassius Carus était un homme mince, mélancolique, aux cheveux noirs bouclés. Âgé d’environ 45 ans, il avait les joues creuses, une petite bedaine et de lourdes paupières. Sans doute fasciné par ses nus de marbre, il en avait oublié de se raser depuis un certain temps. Ummidia Servia paraissait avoir une dizaine d’années de moins que lui. C’était une femme blafarde, grassouillette, qui donnait l’impression d’être irritable. Peut-être en avait-elle assez de se piquer en l’embrassant ?
Ils étaient tous les deux vêtus d’un lourd tissu blanc dont les plis retombaient impeccablement autour d’eux. L’homme portait deux grosses chevalières, et la femme un peu d’or ; mais visiblement, ils ne s’intéressaient pas aux bijoux. Leurs vêtements inconfortables avaient pour seul but de souligner leur statut de protecteurs des arts. J’étais à peu près certain qu’ils ne traduisaient pas un goût personnel.
Ils connaissaient mon père.
— Je vous présente mon fils, dit celui-ci.
Ils avaient bien sûr deviné, de loin, que je n’étais pas le fabuleux Festus. Ils me tendirent une main désagréablement molle.
— Nous venons d’admirer votre collection, dit mon père qui aimait baver.
— Qu’en penses-tu ? demanda Carus en s’adressant à moi, chez qui il percevait probablement beaucoup de réserve.
Il me fit alors penser à un chat qui saute sur les genoux du seul visiteur que les poils font éternuer.
Dans mon rôle de fils de commissaire-priseur, force me fut de répondre :
— Je n’ai jamais vu d’œuvres de meilleure qualité.
— Tu vas aussi admirer notre Aphrodite.
Sa voix au débit lent et aux inflexions pédantes ne me laissait aucun choix sur ce que je devais penser de son Aphrodite.
Carus nous conduisit vers la merveille, abritée dans un jardin à part.
— Nous avons fait installer l’eau spécialement pour elle, crut-il bon de préciser en route.
Après avoir contemplé tout récemment celle de Varga, j’allais finir par devenir un connaisseur en Aphrodites.
Ici, il s’agissait d’un
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