L'or de Poséidon
serait jamais venu à l’idée de Geminus de le pendre au mur pour le préserver. D’ailleurs, tout ce qu’il avait apporté chez lui se trouvait là pour qu’on s’en serve.
Nous traversâmes une série de petites pièces où s’entassaient de nombreux trésors. Elles étaient bien tenues, mais beaucoup trop encombrées, et la peinture trop ancienne des murs avait pâli. Je suppose qu’elle datait d’une vingtaine d’années, c’est-à-dire de l’époque où mon père et sa nouvelle femme s’étaient installés ici, et n’avait jamais été ravivée. Cependant, ce décor lui allait bien. Les murs jaunes, rouges ou bleu marine, agrémentés de lambris et de corniches des plus conventionnels, constituaient le meilleur faire-valoir pour la collection de meubles et de vases paternels qui se renouvelait périodiquement – pour ne pas mentionner les bibelots et les colifichets qu’un commissaire-priseur accumule par chariots entiers. Il s’agissait cependant d’un chaos organisé. On pouvait vivre confortablement ici, si on aimait être entouré de pas mal de fouillis. L’ambiance était agréable. On sentait que les gens qui avaient créé ce décor ne cherchaient à épater personne. Ils souhaitaient simplement se sentir bien chez eux.
J’essayai de ne pas trop m’intéresser à tous les beaux objets qui m’entouraient. Ils étaient superbes, mais je savais que Geminus n’allait pas tarder à devoir s’en défaire. Pour l’instant, il marchait devant moi, et son regard s’attardait parfois sur une pièce rare. Malgré la gravité de la situation, je le sentais sûr de lui – ce qu’il n’avait jamais dû être quand il vivait avec nous. Il savait où se trouvait chaque chose. Et il avait choisi tout ce qui se trouvait là – y compris, vraisemblablement, la fabricante de foulards.
Il me conduisit dans une pièce qui pouvait être son antre à lui, ou un petit salon où il aimait s’installer pour discuter avec sa femme. (Je vis des factures éparpillées un peu partout et les morceaux d’une lampe qu’il devait être en train de réparer, mais aussi un petit fuseau à moitié caché par un coussin.) D’épais tapis de laine recouvraient le sol. Il y avait deux divans, des consoles, de petits bronzes, des lampes et des paniers pleins de bûches. Une collection de masques de théâtre – sans doute rassemblée par mon père – était accrochée au mur. Suivant son regard, je remarquai un très beau vase bleu décoré de camées sur une étagère. Il poussa un léger soupir.
— Je vais avoir du mal à me séparer de celui-ci. Du vin ?
Il me présenta le traditionnel flacon qu’il avait pris sur une petite table, près de la couche sur laquelle il venait de s’installer. Sur la même étagère, était posé un grand faon doré qui penchait la tête vers lui comme s’il demandait à être caressé.
— Non merci. J’ai toujours la gueule de bois.
Il allait se servir lui-même, mais il retint son geste et me fixa.
— Tu refuses de céder d’un pouce, pas vrai ? (Je croisai son regard, mais ne jugeai pas bon de répondre.) J’ai réussi à te faire entrer ici, mais tu te montres à peu près aussi aimable qu’un huissier. Et encore, ajouta-t-il, je n’ai jamais connu d’huissier qui refusait une coupe de vin.
Je ne fis toujours aucun commentaire. Quelle ironie si, en essayant de découvrir qui était vraiment mon frère, je finissais par renouer des liens d’affection avec mon père. Mais je refuse de croire à ce genre d’ironie. Nous avions eu une longue journée pleine de problèmes, et elle arrivait à son terme.
Mon père reposa le flacon et sa coupe restée vide.
— Eh bien alors, viens au moins voir mon jardin, ordonna-t-il.
Nous retraversâmes toutes les salles jusqu’à l’escalier. Et, à ma grande surprise, il me fit grimper un étage de plus. J’étais persuadé qu’il s’agissait d’une plaisanterie stupide. Mais nous arrivâmes à une arche fermée par une solide porte de chêne. P’a repoussa les verrous et recula d’un pas pour me laisser passer le premier.
Il avait fait installer un jardin sur le toit. Il y avait des plantes partout et même de petits arbres. Des treillages aux formes diverses dégoulinaient de roses et de lierre. Le long de la rambarde, d’autres roses couraient le long de grosses chaînes comme des guirlandes. Entre des arbres plantés dans des bacs, des bancs à pattes de lion permettaient de s’installer
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