L'or de Poséidon
c’était encore elle qui devait couper les choux ou enfoncer sa fourche dans le fumier. Elle devait avoir 80 ans. Aussi avait-elle décidé que le moment était venu de ralentir ses activités. C’est ainsi qu’elle avait renoncé depuis peu à délivrer les vaches de leurs veaux.
Elle éprouvait un intérêt passionné pour tous les membres de la famille. Il faut dire qu’elle s’était occupée des petits malaises de la plupart d’entre nous au cours de notre adolescence. Inutile de préciser que Festus avait toujours été son préféré.
L’oncle Fabius ne se trouvait pas à la maison, pour de sombres raisons que personne ne jugea bon de préciser.
— Il a encore des ennuis ? demandai-je à Phœbe en souriant.
— Il n’apprendra jamais, murmura-t-elle en hochant la tête.
L’oncle Junius, fidèle au poste, paraissait passer son temps à se plaindre de l’absence de Fabius. Son temps libre, quand il en avait. La majeure partie de son énergie était dévorée par un élevage de carpes en train de péricliter, et par les efforts qu’il déployait pour conquérir une certaine Amarilla, l’épouse d’un voisin fermier beaucoup plus prospère que lui.
Il y avait eu un troisième frère, un jour, mais personne n’était plus autorisé à mentionner son nom.
Ils disaient machinalement du mal de mon oncle absent, alors que le seul sujet d’intérêt était ma petite amie. C’était la première fois que je leur amenais quelqu’un d’autre que Petronius Longus (surtout parce que j’avais l’habitude de venir ici en vacances quand les raisins et les filles étaient mûrs, avec l’intention de bien profiter des deux).
Helena Justina avait accepté le siège offert et adopté une posture élégante. Elle dévorait la scène qui l’entourait de ses grands yeux noirs, en se prêtant de bonne grâce à leur examen. Elle avait reçu une excellente éducation qui lui permettait de contrôler son caractère bien trempé, afin d’éviter de se faire accuser par la famille, au cours des trente prochaines années, de ne pas avoir voulu s’intégrer.
— C’est la première fois que Marcus nous amène une de ses relations romaines, annonça la grand-tante Phœbe en laissant clairement entendre qu’elle faisait allusion à mes relations féminines, qu’elle savait qu’il y en avait eu beaucoup, et qu’elle était ravie que j’en aie enfin trouvé une ayant envie de voir pousser les poireaux.
Ne trouvant aucun commentaire à faire, je me contentai de sourire bêtement.
— Je me sens très honorée, déclara Helena. J’ai beaucoup entendu parler de vous tous. (Phœbe adopta tout de suite un air embarrassé, certaine qu’elle était qu’on faisait référence à son union libre avec mon joyeux grand-père.) Je voudrais préciser, continua ma bien-aimée, que Marcus et moi avons l’habitude de partager une chambre, même si nous ne sommes pas mariés. J’espère que ça ne vous choque pas. Il n’y est pour rien. C’est moi qui pense qu’une femme devrait garder son indépendance s’il n’y a pas d’enfants en cause…
— C’est nouveau, ça ! croassa la grand-tante à qui l’idée semblait plaire.
— C’est nouveau pour moi aussi, ajoutai-je plus nerveusement. Que fait-on de ma réputation ?
Helena Justina et Phœbe échangèrent un coup d’œil complice.
— Ah, les hommes ! s’exclama cette dernière, il faut toujours qu’ils fassent semblant.
C’était une vieille dame fort sage pour laquelle j’avais une très grande affection, même si nous n’étions pas parents. Ou était-ce à cause de ça ?
Ce ne fut pas sans ronchonner que l’oncle Junius accepta de me conduire à la grange dont Festus se servait naguère comme réserve. En partant, je vis Helena regarder avec curiosité la niche semi-circulaire qui abritait les dieux du foyer. Il s’y trouvait également un buste en céramique de Fabius devant lequel Phœbe avait respectueusement déposé des fleurs. Elle honorait toujours ainsi la mémoire de l’oncle absent (sauf, bien sûr, celui dont on ne parlait jamais). Le buste de Junius attendait sur une étagère voisine, prêt à remplacer celui de son frère le jour où ce serait lui qui jouerait la fille de l’air. Au fond de la niche, entre les statues de bronze traditionnelles des Lares avec leurs cornes d’abondance, on pouvait voir un dentier poussiéreux.
— Tu as encore ça ? taquinai-je la grand-tante.
— Il est resté à
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