L'or de Poséidon
l’endroit où il le posait toujours pour la nuit, répliqua l’oncle Junius. Phœbe l’a remis là le jour des funérailles, et personne n’a eu le cœur d’y toucher depuis.
Je me crus obligé de fournir une explication plus approfondie à Helena.
— On parle du grand-oncle Scaro. Un sacré excentrique. Un jour, il a confié sa bouche à un dentiste étrusque, et ça a fait naître en lui une passion pour les travaux de dentisterie qu’il considérait comme des œuvres d’art. Et vu le prix de l’or, c’est une passion qui peut s’avérer ruineuse. Alors il a essayé de fabriquer son propre dentier.
— Celui qui se trouve dans la niche ? demanda Helena poliment.
— Ouais ! dit Junius.
— Par Junon ! Et il arrivait à s’en servir ?
— Ouais ! répéta laconiquement mon oncle.
Je le connaissais suffisamment pour deviner qu’il était en train de se demander si la fille du sénateur serait sensible à ses avances. Helena, qui avait une fine perception de ces choses, se tenait tout contre moi.
— Ça, c’était la quatrième tentative, me rappelai-je soudain. L’oncle Scaro m’aimait beaucoup, et il me tenait toujours informé sur les progrès de ses inventions. (Je me dis qu’il valait mieux éviter de préciser que certaines des dents de ce dentier numéro quatre provenaient d’un chien mort.) Avec ce truc, il était capable de broyer un os de bœuf. Quant aux coquilles de noix, c’était une plaisanterie. N’empêche qu’un jour, Scaro s’est étouffé en avalant à moitié son dentier.
Helena prit un air catastrophé.
— Oh, ne t’en fais pas ! dit aimablement Junius. Il aurait accepté ça comme faisant partie de ses recherches. Et je suis sûr que ce vieil excentrique a apprécié de nous quitter de cette façon.
Les fausses dents de l’oncle Scaro paraissaient nous sourire gentiment, comme si elles se trouvaient toujours dans sa bouche.
Je sais qu’il aurait beaucoup aimé ma nouvelle petite amie. Si seulement il avait pu la rencontrer ! Je sentis mon cœur se serrer en regardant Helena épousseter délicatement le dentier du bout de son étole.
Il y avait peu de choses intéressantes dans la grange. Quelques fauteuils d’osier irréparables, une commode au plateau cassé, un seau ébréché, des fétus de paille.
En outre, tout au fond, s’alignaient quatre énormes blocs de pierre comme une rangée de tombes pour Cyclopes.
— C’est quoi, ça, Junius ?
Mon oncle haussa les épaules. Une vie pleine d’intrigues et de désarroi l’avait guéri de poser des questions. Il avait appris à ses dépens que les réponses posent parfois de gros problèmes.
— Quelque chose que Festus a dû laisser ici, marmonna-t-il nerveusement.
— Il n’a pas dit ce qu’il comptait en faire ?
— J’étais pas là quand il a apporté ces blocs.
— Parti avec une femme ?
Il me foudroya du regard.
— Ce crétin de Fabius est peut-être au courant, dit-il.
Si Fabius était au courant, Phœbe l’était aussi. Nous rentrâmes pensivement à la maison.
La grand-tante était en train de raconter à Helena l’histoire de ce cavalier fou qui avait galopé trop vite devant la maison et avait tué la moitié de ses poulets. Nous avions découvert plus tard qu’il s’agissait probablement de l’empereur Néron fuyant Rome avant son suicide – mais à la façon dont Phœbe racontait l’histoire, ce n’était pas ça l’important. Non elle ne savait pas ce que Festus avait prévu de faire de ces blocs de pierre. Tout ce qu’elle se rappelait, c’est qu’il les avait apportés lors de sa dernière permission. Et je finis également par lui faire dire que deux hommes étaient venus poser des questions à la ferme, quelques mois auparavant. D’après moi, il ne pouvait s’agir que de Censorinus et Laurentius.
— Ils voulaient savoir si Festus avait laissé quelque chose ici.
— Ils ont mentionné les blocs de pierre ?
— Non. À la vérité, ils ont presque rien dit.
— Vous leur avez montré la grange ?
— Non. Tu connais Fabius. (Je connaissais Fabius, en effet. Difficile de trouver plus soupçonneux.) Il leur a montré une vieille grange pleine de matériel de labour et il a joué l’idiot du village.
— Et ensuite ? Que s’est-il passé ?
— J’ai dû m’en mêler, comme d’habitude.
La grand-tante Phœbe aimait à se montrer sous les traits d’une femme d’action.
— Comment t’es-tu débarrassée
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