L'or de Poséidon
l’offensée, et je crus voir l’ombre d’un sourire jouer sur le visage d’Helena.) Qu’est-ce que tu peux me dire sur les statues grecques ?
Marina croisa les jambes et me dévisagea de ses grands yeux, avec un air faussement candide.
— À l’improviste, comme ça, Marcus, pas grand-chose !
— Je te demande pas de me faire une conférence sur Praxitèle. Je voudrais que tu me dises ce que tu sais sur le projet qu’avait concocté Festus d’importer des statues grecques pour les revendre à des collectionneurs fortunés ! m’écriai-je en martelant mes mots.
— Ça pouvait être qu’une idée de Geminus.
— Tu en es certaine ?
— Non, mais je trouve que c’est évident.
— Figure-toi que rien n’est évident dans cette histoire. C’est un véritable sac d’embrouilles et on est tous mouillés, Marina. Dis-toi bien que si on me fourre en prison, je ne pourrai plus t’aider. Alors pense aux conséquences et concentre-toi.
Elle adopta l’attitude d’une femme perdue dans ses réflexions. En tant que statue elle aurait trouvé facilement preneur. En tant que témoin elle était nulle.
— Vraiment, je vois rien à te dire.
— Enfin, par Jupiter, il devait bien t’adresser la parole quelquefois ?
— Pourquoi ? Pour Festus, les affaires c’était les affaires, et le lit c’était le lit.
Elle abordait un sujet qui me mettait mal à l’aise.
— Marina ! J’essaie moi aussi de me rappeler tout ce que je peux. L’as-tu trouvé agité pendant sa dernière soirée à Rome ? Préoccupé ? Anxieux ?
Elle haussa les épaules.
Elle pouvait se le permettre. Ce n’était pas son nom à elle que Petronius Longus était en train d’écrire sur un mandat d’arrêt, tandis que Marponius sautillait d’un pied sur l’autre en attendant de pouvoir y apposer son sceau d’un geste rageur.
— Tu étais là aussi ! ricana-t-elle.
L’allusion était claire et parfaitement inutile.
À ce moment-là, une voisine entra en courant en portant l’enfant. Marina prit sa fille avec un air de soulagement et remercia la voisine qui repartit aussi vite qu’elle était venue. Nous nous préparâmes tous à ce qui n’allait pas manquer de suivre. Marcia regarda autour d’elle, prit la mesure de son public, pencha la tête en arrière et se mit à hurler.
Marina s’empressa de consoler la petite, sans oublier de me faire des reproches injustifiés.
— Voilà le résultat. Tu es content de toi, Marcus.
Marina aimait sa fille, tout en étant loin d’être un modèle de mère. Et Marcia n’avait jamais fait de grands efforts pour coopérer. Elle savait saisir toutes les occasions de faire passer sa mère pour un monstre.
— Elle aime jouer chez Statia.
— Elle fait son intéressante… Passe-la-moi.
Marina s’exécuta, mais Helena intercepta l’enfant au passage. Marcia cessa tout de suite de pleurer, s’installa confortablement et prit un air angélique. C’était calculé pour faire passer sa mère et son oncle pour des zozos.
— Laissez-moi m’occuper d’elle, murmura Helena pleine d’une fausse candeur. Comme ça vous pourrez parler tranquillement tous les deux.
Elle avait percé à jour la petite fille. Elles formaient toutes les deux un sacré couple de conspiratrices.
— Elle adore aller chez Statia, répéta Marina comme pour se défendre.
Elle commençait à m’ennuyer sérieusement.
— Tu veux dire qu’elle aime s’habiller avec des oripeaux dégoûtants et écouter le sistrum de l’ex-prêtre ?
— C’est pas vrai qu’ils la négligent.
— Ce que je sais, c’est que j’ai vu Marcia en train d’imiter Statia qui s’écroulait ivre morte !
Elle aimait aussi chanter des hymnes obscènes à Isis et mimer des rites suggestifs. Si les choses continuaient ainsi, la carrière de cette enfant paraissait toute tracée.
Pour l’instant, Marcia regardait Helena avec des yeux admiratifs. Ma compagne déposa un baiser sur ses cheveux bouclés.
— Ne t’en fais pas, ma chérie. C’est seulement l’oncle Marcus qui pique une de ses crises.
Un grondement sourd sortit du fond de ma gorge. Il n’impressionna personne.
Je me laissai tomber sur un tabouret et me pris la tête entre les mains.
— Oncle Marcus pleure ! gazouilla Marcia tout de même intriguée.
Helena lui murmura quelque chose à l’oreille, puis la posa par terre. Elle courut vers moi, m’attrapa par le cou et me couvrit de baisers mouillés et sonores.
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