L'or de Poséidon
Une inquiétante odeur de vin flottait autour d’elle.
— Oncle Marcus a besoin de se raser, déclara-t-elle.
C’était une enfant franche qui ouvrait toujours son cœur. Sans doute était-ce la raison pour laquelle je me faisais du souci pour elle : elle risquait de devenir plus tard une femme qui continuerait d’ouvrir son cœur.
Je la soulevai. Comme à chaque fois, elle me parut plus lourde que je ne m’y attendais. Marina l’avait affublée d’un bracelet de cheville clinquant et l’avait laissée se peindre des points rouges sur les joues. On lui avait aussi offert – probablement Statia – une amulette grotesque. Je dus faire l’effort de chasser tous ces détails de mon esprit, ou j’aurais été susceptible de piquer une vraie colère.
Sans lâcher la fille de mon frère, je tentai une fois de plus de reconstituer sa dernière soirée passée à Rome. Marina avait eu raison de le dire : j’étais là moi aussi. Si, à un moment ou à un autre, Festus avait semé des indices, j’aurais dû les remarquer et m’en souvenir.
— Je crois me rappeler que Festus était nerveux, ce soir-là, dis-je en essayant de m’en convaincre moi-même.
De nouveau, Marina se contenta de hausser les épaules en adoptant l’air de celle qui ne se sent pas vraiment concernée. Mais vu les épaules et la poitrine dont elle était dotée, elle se livrait à ce geste le plus souvent possible pour mettre ses avantages en valeur.
— Oui, je me rappelle que quelque chose semblait le tracasser. Mais seul Jupiter sait de quoi il s’agissait. C’était certainement pas la pensée d’aller en Judée. Il avait toujours été persuadé de pouvoir passer sans dommage au milieu des volées de flèches. Marina, te souviens-tu de ces barbouilleurs de fresques miteux qu’il avait ramassés ?
— Je me souviens surtout de la fille du Circus Max ! s’exclama-t-elle avec force. Je parierais qu’il a été la retrouver.
— J’en ai aucun souvenir, mentis-je en essayant d’éviter une scène inutile.
Helena Justina nous observait en affichant l’expression tolérante d’une intellectuelle assise dans le théâtre de Pompée, et obligée d’endurer une farce stupide, avant la sérieuse tragédie grecque qu’elle est venue voir. Si elle avait eu une poignée d’amandes, elle les aurait grignotées une à une du bout des dents.
— Marina, repense à ces marchands de graffiti. Ils étaient dans un état lamentable. Ils sortaient d’où, d’après toi ? J’ai toujours cru qu’il ne les connaissait pas, mais je n’en suis plus aussi sûr.
— Festus connaissait tout le monde. Si en entrant dans une taverne il y trouvait que des inconnus, c’était devenu des amis quand il partait.
Devenir le copain de piliers de bars était, il est vrai, une de ses spécialités. Pourtant il avait l’habitude d’éviter les esclaves et ceux qui commettaient des fresques.
— Au départ, je crois me rappeler qu’il s’est conduit comme s’il n’avait jamais vu ces types de sa vie. Tu les avais déjà rencontrés, toi ?
— Des filous qui fréquentent La Vierge. C’est leur genre de clientèle.
— La Vierge ? (J’avais oublié ce nom qui devait beaucoup amuser Festus.) C’est là qu’on avait atterri ?
— Ouais, un endroit affreux.
— Ça, je m’en souviens.
— Je les avais encore jamais vus.
— C’est pas loin d’ici ? Tu y vas quelquefois ?
— Seulement si quelqu’un me paye pour y aller.
Marina était aussi franche que sa charmante fillette.
— As-tu revu ces soi-disant artistes ?
— Pas que je me rappelle. Mais je dois avouer que si j’étais assez désespérée pour me trouver à La Vierge, je devais être trop soûle pour remarquer si ma propre grand-mère s’y trouvait.
— Et mieux vaudrait pour toi qu’elle-même ne t’y trouve pas !
À 84 ans, la vieille grand-mère de Marina aurait encore fait un bon garde prétorien. Elle aimait frapper d’abord et poser les questions ensuite. Elle avait beau être haute comme trois pommes, son uppercut du droit était devenu légendaire.
— Oh, ça risque pas ! Mémé boit toujours aux Quatre Poissons.
Je laissai discrètement échapper un soupir.
20
Helena était consciente que cette conversation décousue et qui ne menait nulle part commençait à m’énerver de plus en plus.
— Ce que nous devons établir avec certitude, intervint-elle, d’un ton si raisonnable que j’en eus des frissons,
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