L'or de Poséidon
dans ce contexte particulier.
Cela dit, ce mobilier avait de toute évidence appartenu à une famille de la classe moyenne. J’adoptai une attitude nonchalante, tout en scrutant avidement les lots. Bien sûr, pas la moindre trace d’un lit ! Je vis cependant des poteries destinées à l’extérieur qui me tentèrent beaucoup. (Je n’avais pas de jardin, mais à Rome les rêves ne coûtent pas cher.) Le plus bel objet de cette vente était sans conteste une table-guéridon dotée d’un grand plateau en cédratier. Elle devait valoir une fortune. Même par cette triste journée d’hiver, elle resplendissait magnifiquement. Geminus avait pris la précaution de la faire polir avec de l’huile et de la cire d’abeille. J’en bavais presque d’admiration, mais je continuai d’avancer vers un lot d’antiques trépieds de bronze de tailles diverses. J’en remarquai un avec des pieds en forme de pattes de lion et un joli rebord. Il possédait en outre un étonnant dispositif qui permettait de régler sa hauteur. J’avais la tête encore fourrée dessous, quand l’un des portefaix me donna une petite tape.
— Te fatigue pas. Ton vieux a fixé un prix de réserve incroyable pour ce truc. Il veut le garder pour lui.
Je ne peux pas dire que j’en fus étonné.
Je jetai un coup d’œil à mon père qui tendait le cou sur son estrade improvisée. Il était petit mais imposant, malgré ses boucles grises en désordre. Rien ne pouvait échapper à ses yeux sombres. Il devait m’observer depuis un certain temps déjà. Indiquant la table-trépied de la main, il fit ensuite un geste de dérision qui me confirma ce que venait de me dire son employé. Par réaction, je me sentis soudain prêt à payer n’importe quelle somme pour ce trépied. Puis je me souvins à temps que c’était de cette façon que les commissaires-priseurs s’enrichissaient.
Je passai à autre chose.
Les héritiers étaient déterminés à tirer tout ce qu’ils pouvaient de leur héritage. Les deux battants d’une porte, ayant probablement agrémenté une salle à manger, avaient été soulevés de leurs pivots. Le dauphin de bronze ornant une fontaine, arraché sans ménagement, se retrouvait en assez piteux état. Ces vandales avaient même découpé des panneaux peints sur les murs intérieurs, en détachant de grandes plaques de plâtre avec plus ou moins de bonheur. J’étais certain que Geminus n’avait pas apprécié ce massacre. Et moi non plus.
Je flairai soudainement quelque chose de trouble dans l’atmosphère. Jusqu’ici, étant un farfouilleur-né, mon attention s’était entièrement concentrée sur ce bric-à-brac. J’avais à peine prêté attention aux gens qui m’entouraient. Puis, le naturel reprenant le dessus, je finis par percevoir que la situation était tendue.
Cette vente devait être annoncée depuis une semaine, à la Sæpta Julia. Ce genre d’événement attirait en général de nombreux marchands, plus deux ou trois collectionneurs privés, tous des familiers de Geminus. J’en reconnaissais d’ailleurs quelques-uns. Ces spécialistes avaient vite compris que ces différents lots ne contenaient aucune vraie œuvre d’art, et certains s’éloignaient déjà. Quelques passants, entrés par hasard, les remplaçaient peu à peu. En outre, le Portique recevait chaque jour la visite d’un certain quota d’intellectuels qui aimaient y glandouiller. Il y avait aussi des gens à l’air embarrassé, parce qu’ils étaient novices dans les ventes aux enchères – parmi eux, très probablement, les héritiers soucieux de tenir Geminus à l’œil, et des voisins de la personne décédée, venus par simple curiosité ou pour fouiner dans ses livres.
Parmi les gens qui n’étaient visiblement pas des acheteurs potentiels, je remarquai six hommes costauds qui ne s’intégraient pas du tout au tableau. Chacun d’eux se tenait dans un endroit différent, mais il s’agissait sans nul doute d’une mise en scène. Il se dégageait d’eux une trop forte odeur de complot pour que je m’y laisse prendre. Ils étaient tous vêtus de tuniques à une seule manche, comme des ouvriers, mais agrémentées de solides accessoires en cuir. Ils faisaient parfois mine d’examiner la marchandise, mais aucun d’eux ne renchérissait. Geminus disposait de ses portefaix habituels qui lui apportaient les lots, mais ils étaient tous assez âgés et pas particulièrement solides. Il ne les payait pas beaucoup, et
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