L'or de Poséidon
nécessaire de nous reloger tous les deux ; mais si je parvenais à éviter la prison, remeubler mon appartement devenait une priorité. En commençant par un lit.
— Petronius est venu voir si tu étais ici, me prévint Glaucus.
Mon entraîneur s’exprimait toujours sur un ton qui réveillait mes pires craintes.
— C’est aussi quelqu’un que j’essaye d’éviter.
Je n’avais pas la moindre envie d’aller voir mon père, mais comme c’était la seule personne chez qui Petro n’aurait pas l’idée de venir me chercher, je n’avais pas le choix. En outre, il serait peut-être en mesure de me procurer un lit pas trop cher. Je pris donc la direction de la Sæpta Julia.
Avec mon capuchon bien enfoncé sur la tête, j’émergeai des thermes pour entrer dans le Forum, contournai le temple de la Fortune, en dessous de la citadelle, et me dirigeai subrepticement vers le théâtre de Marcellus. Tous les gens que je croisais se retournaient pour me regarder, comme si ma tunique avait une coupe étrangère, ou mon visage une forme peu commune.
L’idée de me retrouver en présence de Geminus avait fait renaître ma mauvaise humeur. Je me sentais de nouveau très agité – sans savoir encore que j’allais bientôt pouvoir dépenser beaucoup d’énergie.
Beaucoup d’édifices avaient été infligés au Campus par des hommes qui croyaient avoir des raisons d’être célèbres et de le rester ; que de théâtres aux noms pompeux, de thermes, de portiques, de cryptes, avec çà et là un temple ou un cirque, pour faire ouvrir des yeux ronds aux touristes. Je filais devant moi sans les regarder. J’étais bien trop occupé à essayer de repérer d’éventuels gardes lancés à ma poursuite ou me guettant.
La Sæpta Julia se trouvait entre les thermes de Marcus Agrippa et le temple d’Isis. En arrivant près du théâtre de Pompée, précédé d’un long portique, j’entendis beaucoup de bruit et la curiosité me poussa à y diriger mes bottes.
Le portique de Pompée était grandiose comme tous les portiques. Sa lourde architecture en carré entourait un espace protégé où les hommes pouvaient traîner en faisant semblant d’admirer des statues – tout en espérant que quelque chose de plus vivant se présenterait à leurs regards : un garçon hors de prix, au corps de dieu grec, ou, à défaut, une prostituée bon marché. Aujourd’hui, l’endroit était rempli de gens qui se pressaient devant un mélange de meubles, de beaux objets et de brimborions. Je n’avais pas besoin de m’approcher davantage pour deviner qu’il s’agissait d’une vente à l’encan animée par mon papa détesté.
De loin, beaucoup de choses me parurent authentiques, et modérément douteuses vues de plus près. Papa connaissait son boulot.
Je l’entendais lancer les enchères, juché sur ses tréteaux. Sa voix grave résonnait sans effort dans tout le quadrilatère. Comme il dominait la foule, j’étais certain qu’il ne tarderait pas à me repérer. Je ne fis aucun effort pour m’approcher de lui. Nous serions face à face bien assez tôt pour nous disputer.
Pour l’instant, il essayait d’intéresser des acheteurs éventuels à un lot de sièges pliants dépareillés.
— Regardez celui-ci : ivoire authentique, magnifiquement sculpté. Sans doute d’origine égyptienne. Le noble Pompée lui-même s’est peut-être assis dessus.
— Pompée a eu sa noble tête coupée, en Égypte ! cria un plaisantin.
— Exact, rétorqua Geminus, mais son cul est resté intact.
Le tabouret de Pompée faisait partie du mobilier d’une maison qui, d’après ce que j’avais sous les yeux, avait été intégralement vidée. Quelqu’un était mort, et ses héritiers vendaient la totalité de ses biens pour pouvoir se partager des espèces sonnantes. Des reliques de cette vie qui n’était plus se dégageait pas mal de tristesse : des flacons d’encre encore à moitié pleins, des rouleaux de papyrus jamais utilisés, des jarres à grain ayant perdu leur couvercle mais contenant encore du blé, des paniers de vieilles bottes, des ballots de couvertures, la gamelle du chien de garde, des casseroles aux queues presque arrachées, des lampes à huile au bec cassé… Des enchérisseurs paresseux s’étaient assis sur des couches aux pattes abîmées et aux tissus râpés : stigmates d’un long usage qu’un utilisateur quotidien cesse de remarquer, mais qui attiraient l’œil d’une façon pathétique
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