L'or de Poséidon
enfilade, avec un balcon d’où il pouvait voir toute l’enceinte, et d’un entrepôt au rez-de-chaussée – c’était tout de même plus pratique pour y emmagasiner les objets encombrants. Son bureau, toujours luxueusement meublé, jouxtait le Dolabrium où on comptait les votes. Il y régnait une folle animation en période d’élections, mais le plus grand calme le reste du temps.
Nous commençâmes par explorer la réserve du rez-de-chaussée. Le naturel reprenant le dessus, Geminus commença par essayer de me refiler des lits bouffés aux vers ou qui n’avaient que trois pieds. Je parvins néanmoins à le persuader assez facilement que, s’il tenait à ce que je perpétue le nom familial, il devait me fournir un équipement adéquat. Convaincu, il me trouva un lit digne de ce nom. Je refusai naturellement de payer le prix qu’il en demandait et il le divisa par deux pour avoir une chance de partager un petit-fils avec l’illustre Camillus.
— J’espère que tu vas ajouter un matelas. Tu n’as pas envie de faire dormir Helena sur les sangles, si ?
— Je trouve que tu commences à avoir un drôle de toupet !
— Écoute, il y a assez longtemps que je pratique les commissaires-priseurs pour savoir à quoi m’en tenir.
Il se contenta de répondre par un grognement, tout en continuant d’examiner mon achat.
— Ce lit n’est pas très décoratif, Marcus.
Outre le cadre assez simple en hêtre, j’aimais les discrets festons qui en décoraient la tête. Et puis, le simple fait qu’il possédât quatre pattes en parfait état serait un luxe inconnu dans mon modeste logis. Mais Geminus l’observait toujours d’un œil critique.
— J’ai des doutes, ronchonna-t-il. Ce lit est conçu pour aller dans une niche…
— Quand peux-tu le livrer ? tranchai-je.
Il prit un air offensé.
— Tu connais le système. L’acheteur paye d’abord et emporte lui-même la marchandise.
— Dans le cas présent, le système peut aller se faire foutre ! Fais-moi livrer ce lit le plus vite possible et je te paierai à l’occasion. J’habite toujours Cour de la Fontaine.
— Cette bicoque pourrie ? Quand vas-tu te décider à trouver un travail convenable ? Je voudrais voir cette charmante fille installée dans une maison de ville avec un atrium.
— Helena peut très bien vivre sans couloirs dallés de marbre et sans atrium.
— J’en doute, dit-il.
Et au fond de moi, j’en doutais aussi.
— Elle préfère un homme ayant du caractère à une bibliothèque ou à des toilettes privées.
— Oh ! Et elle a vraiment trouvé ? railla-t-il. Bon, d’accord, je vais expédier ce lit dans ton taudis. Mais dis-toi bien que ce n’est pas pour toi que j’accepte… De toute façon, Helena a acheté quelque chose que j’ai promis de lui faire porter.
J’éprouvais un étrange sentiment à entendre mon père parler d’Helena Justina avec une telle familiarité. Surtout que je ne les avais jamais présentés officiellement l’un à l’autre.
— Qu’est-ce qu’elle a acheté ? grondai-je.
Je compris qu’il m’avait amené exactement où il voulait. J’aurais aimé pouvoir effacer brutalement ce sourire narquois de son visage.
— Cette fille a du goût, commenta-t-il. Elle t’a battu au poteau.
Je devinai tout de suite. Le trépied.
— Tu l’as eue de combien pour ça ?
Il répondit par un ricanement exaspérant.
Les portefaix arrivèrent avec les marchandises qui n’étaient pas parties lors de la vente aux enchères rudement interrompue. En les voyant ranger les panneaux muraux, je suggérai à Geminus :
— Les gens qui vont acheter la maison où on a arraché ça vont avoir besoin de réparer les trous dans les murs ! Tu devrais suggérer à Mico d’aller offrir ses services et de se montrer compétitif.
— Entendu, je vais lui donner l’adresse… À mes risques et périls !
— Avec un peu de chance, le nouveau propriétaire n’aura jamais entendu parler de lui. De toute façon, comme il faudra faire des peintures par-dessus, son travail bâclé sera peut-être dissimulé avant d’être remarqué. (J’essayais en fait de lui soutirer discrètement des renseignements.) Je suis sûr que tu as déjà pensé à recevoir une commission en recommandant un peintre ?
Mon père ne s’y laissa pas prendre. Comme Festus, il était d’une discrétion totale en ce qui concernait ses affaires. Je ne me laissai pas décourager pour
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