L'or de Poséidon
dans le péplum de ta mère et plains-toi d’avoir sali ta tunique en jouant avec des garçons brutaux sur le Campus.
J’étais en train de m’emmitoufler dans ma cape, mais je suspendis mon geste. Partir sur un coup de tête n’allait pas m’aider à résoudre le meurtre de Censorinus. En outre, j’avais vraiment besoin d’apprendre des faits que je pourrais raconter à ma mère. Rapidement. Elle était célèbre pour son impatience.
— Oui, c’est vrai, j’ai besoin de toi, concédai-je.
Geminus enleva ses pieds de la couche pour adopter une position assise.
— Ça c’est nouveau !
— Nécessité fait loi ! Est-ce qu’il y aurait un lit décent dans ta réserve de la Sæpta ?
Il ne put dissimuler sa déception, mais se leva néanmoins pour m’y conduire.
23
La Sæpta Julia consistait en une vaste enceinte où avaient lieu les votes. Elle avait été remodelée par l’énergique Marcus Agrippa, général et gendre d’Auguste. Après avoir fini par admettre qu’il ne serait jamais empereur lui-même, il avait cherché à imprimer sa marque en construisant des édifices plus démesurés et plus novateurs que tous ceux qui existaient déjà. On lui devait la plus grande partie du Campus Martius.
Le général était parvenu à transformer la Sæpta – guère plus, au départ, qu’une bergerie géante – en l’une des gemmes du complexe architectural sur lequel il comptait pour rester immortel. Elle faisait maintenant pendant au Panthéon et aux immenses thermes d’Agrippa qui s’étiraient majestueusement devant – et dont l’attrait principal était d’être gratuit. Marcus Agrippa connaissait le moyen le plus efficace d’acquérir une grande popularité. L’enceinte de la Sæpta était assez grande pour servir à des combats de gladiateurs et, pendant le règne de Néron, on l’avait même emplie d’eau pour y organiser des batailles navales. Ce qui avait tout de même un peu gêné les gens qui y travaillaient, les commerçants ne fermant pas de gaieté de cœur leurs échoppes pour laisser la place à des trirèmes de pacotille. Le mur d’enceinte, haut de deux étages, abritait des tas de boutiques, principalement des orfèvres et des bronziers – ainsi que pas mal de gens comme mon père, qui accumulaient des fortunes en faisant commerce d’objets d’art et de meubles d’occasion.
Si, moi aussi, j’avais eu un bureau dans la Sæpta, j’y aurais trouvé beaucoup de clients potentiels. Mais, outre les difficultés financières, la présence de mon père dans les lieux avait achevé de me dissuader. C’était pourtant là que traînaient de préférence tous les détectives privés.
Je veux parler des autres – ceux qui avaient donné une mauvaise réputation au métier, cette vermine qui avait proliféré sous Néron. Ces délateurs de bas étage se dissimulaient derrière les colonnes des temples pour rapporter les propos des fidèles qui oubliaient de se méfier en ces lieux. Ils n’hésitaient pas davantage à utiliser des conversations entendues lors de dîners auxquels ils avaient été conviés, trahissant leur hôte de la veille sans aucun scrupule. Ces parasites qui, avant l’arrivée de Vespasien, recevaient pour mission de purger la vie publique avaient réussi à semer la terreur dans le sénat tout entier. Ces affreuses limaces avaient contribué à étendre les pouvoirs des favoris d’empereurs indignes, à exacerber les jalousies de mères et de femmes d’empereurs qui les dépassaient parfois dans la cruauté. Ils n’étaient rien d’autre que de vulgaires colporteurs de ragots se nourrissant de scandales ; de vrais salopards dont le témoignage devant un tribunal pouvait être acheté au moyen d’un pendant d’oreille en émeraude.
Au tout début de ma carrière, j’avais décidé que les clients qui se rendaient à la Sæpta en quête d’un détective privé n’étaient pas pour moi.
C’était une décision qui m’avait coûté très cher.
De toute façon, les emplacements libres étaient rares ici. Mon père s’était pourtant débrouillé à en obtenir deux. Il faut dire qu’il avait un point commun avec Festus : il trouvait toujours un moyen d’arriver à ses fins. Je suppose qu’avoir de l’argent aidait à aplanir bien des difficultés, mais je savais que sa réputation entrait aussi en ligne de compte. Si nombre de ses collègues devaient se contenter de trous à rats, Geminus disposait de plusieurs pièces en
Weitere Kostenlose Bücher