L'or de Poséidon
permettre d’acheter des ouvrages littéraires au kilo et de s’offrir des esclaves lettrés qui leur faisaient la lecture à haute voix. Dans les différentes strates de la société romaine, en perpétuelle mutation, nombreuses étaient les occasions d’appliquer une couche de vernis aux parvenus. S’il recevait les vingt rouleaux incompréhensibles d’un traité écrit en grec, Marponius le confiait à son équipe de scribes. Ils le recopiaient à l’encre noire sur du papyrus de première qualité qu’ils enroulaient ensuite sur des bâtons en bois de santal parfumé. Le juge fournissait aussi les esclaves aux voix harmonieuses. Voilà comment il gagnait tout cet argent. C’était un truc infaillible. Je regrettais amèrement de ne pas y avoir pensé moi-même.
On me fit attendre un certain temps. Quand je fus enfin introduit auprès du juge, je le trouvai assis en compagnie de Petro et d’Helena. Personne ne paraissait très à l’aise. Ce qu’ils remarquèrent en premier, ce fut mon visage multicolore, résultat de la bagarre survenue pendant la vente aux enchères. Je pense pouvoir dire que l’impression créée ne m’était pas favorable.
Nous nous trouvions dans un salon éclatant, décoré en rouge et or. Les panneaux muraux avaient pour thème les aventures d’Énée, peint sous les traits d’un type lourd aux jambes arquées – allusion diplomatique de l’artiste au physique de son commanditaire. La femme du juge étant morte, Didon n’avait pas eu à souffrir une telle indignité. Elle était représentée dans tout l’éclat de sa jeune beauté voluptueuse et paraissait avoir quelques ennuis avec les plis de sa tunique. L’artiste devait se considérer comme un spécialiste du drapé vaporeux.
À l’image de son Énée, Marponius possédait un crâne aplati surmonté d’une légère écume de cheveux clairs frisottés. (Mais au-dessous de son front plutôt carré, ses tempes se dégarnissaient sérieusement.) Ses fesses étaient tellement imposantes, qu’il se déplaçait en se dandinant comme un pigeon doté d’une queue trop longue. Au moment où je les rejoignis, il était en train de confier à Helena qu’il était un « homme d’idées ». Une esclave assistait à l’entretien pour la bonne règle, et Petro offrait une protection supplémentaire. Helena Justina s’était depuis longtemps formé une opinion sur les idées que les hommes avaient en tête. Elle écoutait le juge parler en arborant l’expression calme qu’elle réservait aux situations tendues. Sa pâleur inhabituelle n’en était pas moins explicite. À mes yeux tout du moins.
Je traversai la pièce et l’embrassai discrètement sur la joue. Le soulagement l’obligea à fermer brièvement les yeux.
— Je suis vraiment désolée, Marcus…
Je m’assis auprès d’elle sur une couche dorée très tarabiscotée et lui serrai la main très fort.
— Ne t’excuse jamais !
— Tu ne sais pas ce que j’ai fait !
Je m’adressai à Marponius.
— Salut, juge ! Je devine, d’après l’odeur de peinture fraîche, qu’il y a toujours de l’argent à gagner avec les encyclopédies.
Il parut hésiter sur la conduite à tenir. Il mourait d’envie de me remettre à ma place, mais il aimait trop parler affaires. Il était particulièrement fier de ses efforts. Je ne lui laissai pas le temps d’ouvrir la bouche.
— Dommage que ça te laisse le temps de t’intéresser à la criminologie. Quelles sont les charges retenues contre cette jeune femme ?
— Vous êtes tous les deux dans le même sac, Falco !
Il avait une voix tranchante, aussi agréable à entendre que le bruit d’un sabre contre une plaque de céramique.
Je remarquai que Petronius Longus paraissait plutôt gêné. C’était déprimant. Il faisait rarement beaucoup de bruit, mais il était capable de traiter Marponius avec tout le mépris qu’il méritait. Si mon ami restait silencieux, c’est que les choses s’annonçaient très mal.
Je lui adressai un signe de tête.
— C’est à mon neveu Gaius que tu dois l’argent pour m’avoir trouvé. Et n’oublie pas de noter par écrit que je me suis présenté ici volontairement.
Petro ne répondit rien et continua à me regarder d’un regard vague. J’espérais avoir plus de succès avec son supérieur d’ordinaire volubile.
— Alors, Marponius, où en sommes-nous ?
— J’attends l’arrivée d’un porte-parole pour cette dame.
Les femmes, ne
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