L'or de Poséidon
d’entrer seul dans la chambre du meurtre, même en sachant que le cadavre ne s’y trouvait plus. J’étais en train de chercher une excuse pour partir quand Petronius Longus est arrivé.
Je dirigeai mon regard vers lui. Il m’adressa enfin la parole :
— Pousser une jeune femme d’aussi bonne famille à s’introduire sur les lieux du crime va te faire beaucoup de tort, Falco.
— Ça m’en ferait si j’étais coupable ! (Il était conscient que j’étais sur le point de ne plus pouvoir me contrôler.) Et je n’ai poussé personne à faire quoi que ce soit. Surtout pas elle.
— Un jury ne pourra jamais te croire, intervint Marponius.
— C’est de notoriété publique que les jurés sont stupides ! Voilà pourquoi, avant d’accepter qu’un procès ait lieu, le préteur va te demander de lui fournir des preuves plus solides de ma culpabilité.
— Oh ! ne t’inquiète pas, Falco. Je saurai convaincre le préteur.
— Si la justice représente davantage pour toi qu’un passe-temps de dilettante, Marponius, tu dois admettre que ce cas n’est pas clair.
— Ce n’est pas mon avis.
— Enfin, réfléchis ! Je n’avais aucun motif de tuer ce centurion.
— Il te réclamait de l’argent.
Sans que rien ne le laisse prévoir, l’atmosphère venait de changer. Le juge se mettait à me cuisiner.
— Faux. Il prétendait que mon frère lui devait de l’argent. Mais il n’a fourni aucune preuve. Marponius, je ne veux pas calomnier les braves centurions de la Quinzième légion, mais le peu que j’ai déjà appris m’indique qu’il s’agit d’une demande de remboursement qu’ils ne peuvent pas étaler sur la place publique. De toute façon, où sont tes faits ? Censorinus a été vu vivant, en train de dîner à la caupona, alors que j’étais rentré depuis longtemps dans ma famille. Petronius Longus a vérifié mon emploi du temps du lendemain, et même s’il y a une période pour laquelle je n’ai pas de témoins, vous n’en avez pas davantage qui auraient pu m’apercevoir chez Flora quand on a trucidé ce soldat.
— Le fait que tu te sois disputé si violemment avec lui…
— Me disculpe. C’est lui qui s’est attaqué à moi devant un public de curieux. Si tu bases ton accusation là-dessus, c’est que tu me prends pour le dernier des crétins.
Marponius plissa le front. Pendant un petit moment, j’eus la sensation de contrôler la situation. Mais ce fut assez bref. Le juge fit un signe à Petronius. Je compris qu’une épreuve désagréable m’attendait.
Petro, dont l’air misérable ne faisait qu’empirer, quitta son siège et s’approcha de moi. Il tenait un petit paquet à la main. Après avoir défait le morceau de tissu qui l’emballait, il me présenta un objet tout en le tenant hors de ma portée. Il s’était placé de façon à ce que Marponius et Helena puissent voir mon visage.
— Tu reconnais ça, Falco ?
Je dus répondre instantanément. Hésiter n’aurait fait que m’enfoncer davantage. Comme un idiot, je choisis de dire la vérité :
— Oui, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un couteau de cuisine appartenant à ma mère.
Alors Petronius Longus intervint d’une voix calme :
— Helena Justina l’a trouvé ce matin, parmi d’autres ustensiles, dans la cuisine de la caupona.
28
Je gardai les yeux rivés sur le couteau. Il n’était pas du genre à susciter l’admiration d’un coutelier. Il possédait un manche d’os rugueux qu’un gros cercle de fer fixait à une robuste lame pointue dont l’extrémité était tordue.
À part ce détail, il ressemblait aux autres couteaux de ma mère – qu’elle maniait avec une force surprenante. Non qu’ils fussent tous exactement identiques. Ils faisaient partie d’une série d’ustensiles de cuisine qu’elle avait apportés avec elle de Campanie en venant s’installer à Rome après son mariage. Fabriqués à la campagne et destinés à la cuisine, ils n’étaient pas vraiment raffinés. Sans doute beaucoup d’autres familles romaines en possédaient-elles de plus ou moins identiques. Il n’y avait cependant pas à s’y tromper : ceux de ma mère portaient ses initiales sur le manche : JT, pour Junilla Tacita.
La pièce dans laquelle nous nous trouvions était assez vaste, mais je la sentis se refermer sur moi. Je fus soudain oppressé par la chaleur des braseros qui en réchauffaient l’atmosphère. Elle était éclairée par de hautes
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