L'Orient à feu et à sang
emportaient était probablement superflu : « Quel balistaire serait assez incompétent pour ne pas avoir déjà braqué son engin sur l’homme au cheval blanc ? »
L’astuce consistant à tourner les rondelles pour détendre les ressorts de torsion et diminuer la portée apparente des balistes et des scorpions était quelque peu éculée. Avait-elle fonctionné ? Et si c’était le cas, le traître dans leurs murs avait-il vendu la mèche ? Le Sassanide n’était-il pas en train de se moquer de lui ?
Shapur talonna son cheval blanc et avança vers la porte de la Palmyrène. Il dépassa les tas de pierres blanchies à la chaux, les banderoles symbolisant son pouvoir flottant derrière lui. « Père-de Tout, Le Fourbe, Semeur de mort, livre-moi cet homme ! »
Ballista ressentait presque douloureusement l’expectative dans laquelle tout le monde autour de lui était plongé. Un profond silence planait sur les remparts, parfois rompu par des cliquetis de machineries bien huilées, subtilement ajustées tandis que l’on braquait les balistes sur leur cible. – Attendez qu’il s’arrête ! Pas de précipitation ! Attendez le bon moment !
Shapur s’approchait encore et encore ; de plus en plus près du bout de mur peint en blanc marquant la limite des deux cents pas.
Il s’arrêta. Ballista parla. Antigonus leva le drapeau rouge que tous attendaient.
Vibration – glissement – choc sourd : la baliste à côté de Ballista projeta le boulet de vingt livres, soigneusement arrondi, suivi de près par sa jumelle sur le toit de la tour. Puis, vibration – glissement – choc sourd, la série de bruits caractéristiques se répéta encore et encore tandis que toutes les pièces d’artillerie sur les remparts ouest tiraient. Ballista resta un instant en admiration devant la figure géométrique ainsi décrite – la ligne droite de la muraille, le triangle mouvant de projectiles convergeant tous vers le point fixe représenté par l’homme juché sur le cheval blanc.
Le cavalier vêtu de fourrures à côté de Shapur fut brusquement jeté bas. Les bras écartés, les larges manches évasées de son manteau battant l’air, l’homme ressemblait à un gros insecte à six pattes lorsque que le trait d’artillerie l’arracha de sa selle. Vers l’arrière de la suite de Shapur, une pierre s’abattit sur deux, peut-être trois cavaliers et leurs montures, les transformant en amas sanguinolent.
Après la salve, un silence stupéfait se fit. On n’entendait que des bruits étouffés : les cliquets se bloquant, le grincement du bois, la tension croissante des tendons, le halètement des hommes actionnant frénétiquement les treuils. Une clameur outragée s’éleva des troupes sassanides frappées d’horreur et mit fin au calme relatif.
Shapur surprit les deux camps. Éperonnant sa monture, il galopa droit devant lui vers la porte de la Palmyrène. Il sortit son arc de son étui et une flèche de son carquois. Il encocha la flèche. Arrivé à cent cinquante pas de la porte, il arrêta brusquement sa monture, banda son arc et tira.
Ballista regarda s’envoler la flèche. Une crainte superstitieuse lui donna l’impression qu’elle se dirigeait droit sur lui. Comme toujours, elle sembla accélérer au fur et à mesure qu’elle approchait. Elle retomba trop court et à sa droite, rebondissant contre la muraille de pierre dans un tintement de ferraille.
La bouche de Shapur bougeait. Il hurlait son indignation et sa colère, mais on n’entendait pas ses paroles depuis les remparts. Deux cavaliers l’encadrèrent. Ils criaient eux aussi. L’un deux alla jusqu’à se saisir des rênes du cheval du roi. Shapur se servit de son arc comme d’un fouet pour le repousser. Le cheval blanc finit par faire volte-face et le roi des rois, agitant le poing, galopa vers la sécurité du camp.
Vibration – glissement – choc sourd : les pièces d’artillerie tiraient la seconde salve. À cette distance, face à une cible mouvante, Ballista savait qu’il y avait bien peu de chances qu’un projectile fît mouche.
Désormais hors de danger, Shapur parcourait l’avant de ses lignes, haranguant ses hommes. Ils se mirent à scander « Sha-pur ! Sha-pur ! ». Le long des remparts d’Arété, un autre chant guerrier s’éleva : « Bal-lis-ta, Bal-lis-ta ! »
Le Dux Ripæ retira son casque. Le vent du sud soulevait ses longs cheveux blonds. Il adressa un signe de la main à ses hommes.
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