L'Orient à feu et à sang
la turme de Paulinus, aucun dans celle d’Apollonius. Parmi les légionnaires, il y avait vingt places vides dans la centurie qui avait pénétré dans le camp perse, celle d’Antoninus Posterior, et un dans celle d’Antoninus Prior – ce qui était étrange puisqu’elle n’avait pas pris part au combat. Bien qu’on ne le reconnût pas ouvertement, on s’accordait à penser que l’homme avait déserté. Dans l’ensemble, le raid avait remonté le moral des troupes romaines et il n’y avait guère de doute qu’il eût entamé celui des Perses. Cependant, ce genre de raid à grande échelle n’avait pas été réitéré. Ballista savait que les Sassanides seraient sur leur garde. Il attendait la prochaine phase du siège, le prochain tour de danse. Il attendait l’assaut en masse des Perses.
Même si les Romains n’avaient pas mené d’autres incursions dans leur camp, il était peu probable que les Sassanides dormissent tranquilles dans leurs tente. La nuit même du raid, Antigonus était revenu au petit matin de la berge opposée du fleuve. Il avait trouvé la fille qui s’était fait violer. Morte, et mutilée. Antigonus la laissa sur place, mais revint avec la tête d’un Perse. Deux nuits après, il s’en allait vers le sud en bateau et rentrait avec une autre tête, enveloppée dans une cape perse. Le lendemain, à la nuit tombée, il était sorti subrepticement par la porte nord enchâssée dans le mur au bord du fleuve et s’en était retourné avec deux têtes, cette fois-ci. Finalement, la nuit dernière, il avait à nouveau traversé le fleuve pour rapporter un autre paquet macabre. Dans un sens, cinq morts ne pesaient pas bien lourd pour une armée qui comptait probablement cinquante mille hommes. Pourtant, jour après jour, la nouvelle de la découverte d’un nouveau cadavre inexplicablement décapité, à un endroit toujours différent, ne pouvait que susciter les pires craintes au sein de l’armée perse : un traître se retournant contre ses amis ou pire, bien pire encore, un démon capable de frapper à volonté partout dans le camp endormi.
Ballista était content de son nouveau porte-étendard. Il ne goûtait guère les trophées sanglants qu’il lui rapportait, mais se faisait un devoir de les déballer et de le remercier. Chacun d’eux vengeait à la fois Romulus et la jeune fille inconnue. Antigonus était doué pour ce genre de choses et Ballista se réjouissait qu’ils fussent tous deux dans le même camp.
Mis à part les incursions nocturnes d’Antigonus et les activités habituelles des assiégés, la principale tâche accomplie au cours de ces sept jours avait été la construction de trois énormes grues mobiles. Chaque charpentier de la ville y avait été affecté ; et on avait chargé tous les forgerons de fabriquer les chaînes géantes et les instruments qu’elles déploieraient. Ballista disposait maintenant des derniers engins nécessaires pour soutenir l’assaut des Sassanides. Il contemplait la muraille d’un bout à l’autre, voyait le voile de chaleur s’élever des grands chaudrons métalliques qu’on avait déjà mis à chauffer, et avait le sentiment d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir. Il était loin d’être sûr que cela allait suffire, mais il avait fait de son mieux.
Le soleil se levait sur la Mésopotamie. Ses rayons dorés éclaboussaient les bannières colorées des Sassanides, faisaient scintiller leurs magnifiques vêtements, les joyaux sur leurs couvre-chefs. Dans un grand mouvement d’ensemble, chaque homme de l’immense armée se mit à genoux avant de se prosterner dans la poussière du désert. Les buccins retentirent, les tambours tonnèrent et la plaine se mit à résonner des incantations de « Maz-da, Maz-da », tandis que tous saluaient le levant.
Le soleil s’était élevé au-dessus de l’horizon. Les incantations avaient cessé et l’armée perse s’était relevée. Les soldats attendaient en silence.
En haut des remparts de la porte de la Palmyrène, Ballista attendait aussi et observait. Le 21 avril, dix jours avant les calendes de mai : c’était les palilies [73] , l’anniversaire de la Rome éternelle. Venant de la droite de l’armée sassanide, précédé par le Drafsh-i-Kavyan, le grand étendard de bataille de la maison des Sasan, la silhouette violette, désormais familière, apparut sur son cheval blanc.
— Shah-an-shah [74] , Shah-an-shah !
Une nouvelle mélopée retentit
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