L'Orient à feu et à sang
assura-t-il à tout le monde, que son garde du corps n’avait jamais connu ; et ce soir, il boirait au point de chanter des chansons à l’eau de rose, d’appeler tout le monde son frère et de s’écrouler ivre mort. Une fois qu’ils eurent terminé leur petit-déjeuner, ils se rendirent tous dans la cour principale pour s’armer. Ils étaient plus calmes, désormais ; on n’entendait plus que quelques conversations à voix basse et de brefs rires. L’un après l’autre, les hommes s’éclipsaient aux latrines. Calgacus et Bagoas sortirent des appartements portant l’armure d’apparat du Dux Ripæ, qu’il n’avait encore jamais portée.
— Si tu dois vaincre le roi des rois sassanide, il faut que tu aies l’air d’un vrai général romain, lui dit Calgacus.
Ballista aurait préféré sa vieille cotte de mailles qui avait vu tant de combats, mais il se laissa faire. Calgacus voulait toujours qu’il eût une mise impeccable et c’était là une attente que Ballista frustrait bien trop souvent. Il se tint debout, les bras étendus, pendant que Calgacus et Maximus attachaient le plastron et la dossière de la cuirasse musclée, fixaient les épaulières ouvragées et les épaisses sangles de cuir, conçues pour protéger les parties viriles et les cuisses. Ballista enfila son baudrier et laissa Calgacus recouvrir ses épaules d’une cape noire neuve. Pour le protéger du froid du petit matin, son vieux serviteur le drapa de la peau de loup qu’il avait portée la veille, puis il lui tendit son casque. Ballista remarqua que la peau de loup avait été nettoyée et le casque astiqué.
— Si tu ne vaincs pas Shapur, au moins tu seras bien habillé pour entrer au Walhalla, dit Maximus dans la langue natale de Ballista.
— J’espère que ce n’est pas la fin de la longue route pour nous, mon frère, répondit Ballista dans la même langue.
À la porte principale du palais, ils se mirent en marche, en silence désormais. Dans l’obscurité, leurs torches flambant dans la froide brise du sud, ils traversèrent les quartiers militaires puis le campus martius jusqu’à l’extrémité nord de la muraille du désert. Tandis qu’ils montaient l’escalier menant à la tour nord-ouest, à côté du temple de Bel, une sentinelle les arrêta : « Isangrim » – le nom étrange fut correctement prononcé – et Ballista donna le mot de passe : « Patria ».
Ballista salua les hommes présents sur les remparts, un mélange de soldats de la Cohors XX et de conscrits locaux, leur serrant la main à tous. Puis il monta sur une pièce d’artillerie. Il retira son casque et ses cheveux volèrent dans le vent. Le cuir de sa cuirasse moulée luisait dans la lumière des torches. Il s’adressa à ses hommes.
— Commilitiones , compagnons d’armes, le moment est venu. L’heure de l’ultime bataille a sonné.
Il marqua une pause. Il avait toute leur attention.
— Les Perses sont nombreux. Nous ne sommes que quelques-uns. Mais leur nombre ne fera que les encombrer et nous aurons toute la place qu’il faut pour manier nos épées.
De petits sourires se dessinèrent dans la lueur des torches.
— Leur nombre ne veut rien dire. Ce sont les esclaves efféminés d’un despote oriental. Nous sommes des soldats. Nous sommes des hommes libres. Ils combattent pour leur maître. Nous combattons pour notre liberté. Nous les avons déjà corrigés et nous les corrigerons à nouveau.
Quelques-uns des soldats dégainèrent leurs épées et en donnèrent de petits coups sur leurs boucliers.
— Si nous vainquons aujourd’hui, les nobles empereurs Valérien et Gallien déclareront ce jour un jour de grâce, un jour sacré qui sera fêté aussi longtemps que la Rome éternelle éclairera le monde. Les nobles empereurs ouvriront pour nous le trésor impérial sacré. Ils nous couvriront d’or !
Les soldats rirent en cœur avec Ballista. Valérien n’avait pas la réputation d’être prodigue. Le Dux attendit un instant avant de reprendre d’une voix qui avait gagné en intensité ce qu’elle avait perdu en volume.
— Aujourd’hui, nos souffrances prennent fin. Si nous vainquons aujourd’hui, nous aurons conquis notre sécurité à la pointe de nos épées. Si nous vainquons aujourd’hui, nous nous serons couverts de gloire, une gloire qui sera célébrée pendant des siècles. On honorera notre mémoire comme on honore celles des hommes qui ont défait Hannibal à Zama, les hommes
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