L'Orient à feu et à sang
bonnet pointu blanc quelconque, les pieds nus… Cette image du simple prêtre détaché du monde matériel semblait battue en brèche par la ridicule barbe à deux pointes d’Ogelos, soigneusement taillée et bichonnée (mais grisonnante, remarqua Anamu avec satisfaction). Ogelos tenait une branche de palmier dans une main, une cruche, un bol et deux couteaux dans l’autre. Il était debout à côté d’un haut vase d’eau bénite et d’un autel portatif au-dessus duquel un voile de chaleur ondulait. Le feu avait été allumé à temps : il ne dégageait plus de fumée. Ogelos était organisé. Anamu ne l’avait jamais sous-estimé.
Derrière Ogelos se tenait un acolyte dont la magnifique tenue écarlate et blanche contrastait délibérément avec celle du prêtre. Il tenait dans ses mains un encensoir et un hochet. Derrière le garçon, deux prêtres costauds, vêtus comme Ogelos, attendaient avec le taureau sacrificiel.
Les autres prêtres se tenaient en retrait vers les portes. Tous les groupes religieux d’Arété étaient représentés : les prêtres de Zeus Megistos, Zeus Kyrios, Zeus Theos, Atargatis, Azzanathcona et Aphlad, de Bel et Adonis, et de nombreux autres encore. Même les prêtres des groupes qui niaient l’existence des autres dieux étaient là – le responsable de la synagogue et le chef des chrétiens.
Les légionnaires de la vexillatio de la Legio IIII Scythica, basée à Arété, étaient alignés sur une distance de trois cents pieds le long de la dernière portion de route avant les portes de la ville. Ils étaient autant là pour marquer leur respect envers le nouveau Dux que pour contenir le démos, les classes inférieures – non que l’on s’attendît à un quelconque débordement. Leur commandant, Marcus Acilius Glabrio, le seul homme à cheval, se tenait au milieu de la route, devant les portes, assis sur un très bel alezan. Il respirait la condescendance.
La plupart des membres du conseil, revêtus de toges brodées, arborant bracelets, améthystes et émeraudes et tenant à la main leurs précieuses cannes au pommeau d’argent, recouvertes de plaques d’or merveilleusement ouvragées, attendaient du même côté de la route qu’Anamu. La séparation des pouvoirs religieux et politique n’avait pour ainsi dire pas cours à Arété. La plupart des prêtres étaient aussi conseillers, et chaque homme était chef religieux dans sa maison. Les vraies divisions étaient celles qui opposaient les trois principales personnalités de la ville.
« À l’époque de nos pères, il devait y avoir trente protecteurs de caravanes à Arété », pensait Anamu. Deux ans auparavant seulement, il y en avait une douzaine. Mais il avait fallu faire preuve d’habileté pour éviter l’exil, pour rester en vie lorsque la ville ouvrit pour la première fois ses portes aux Perses, avant de se soulever et de massacrer leur garnison. Aujourd’hui, il n’en restait plus que trois. Ogelos, en sa qualité de prêtre d’Artémis, avait survécu et prospéré, dissimulant ses traîtrises sous le couvert d’une fausse piété. Iarhai s’en était allé trouver les Romains, était revenu et avait organisé le massacre. Il avait toujours été comme un taureau devant une barrière ; des revirements soudains, la fervente certitude d’avoir raison. Anamu n’avait jamais eu d’idées bien arrêtées quant à l’arrivée des Perses ou leur fin violente. Il se considérait comme un tamaris ployant doucement sous la brise ; peut-être même comme l’un de ces bosquets de tamaris de ce côté-ci de l’Euphrate, avec un sanglier tapi derrière. Anamu se délectait de la métaphore ; la poésie était très chère à son cœur.
La colonne de poussière avait grossi, sa tête était maintenant au milieu de la plaine. Tout était prêt. En tant qu’archonte de l’année, principal magistrat, il incombait à Anamu de s’en assurer. De l’orge, du foin, des cochons de lait, des porcs, des dattes, des moutons, de l’huile, de la sauce de poisson, du poisson salé – tout avait été livré au palais du Dux Ripæ. Il cochait dans son esprit toutes les victuailles de la liste virtuelle ; tout devait être payé par le Dux. Profit et poésie faisaient bon ménage chez Anamu.
Un peu plus loin sur la route, la fanfare se mit à jouer. Les tambours et instruments à cordes imprimaient un rythme rapide et haché tandis que retentissaient les sifflets. Une chorale d’enfants se joignit
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