L'Orient à feu et à sang
se formaient. Les flèches tombaient en pluie de plus en plus dense. Puis, ce fut le désastre. La seule vraie difficulté du cercle cantabrique était de maintenir une direction constante ; il ne fallait pas que les cavaliers tournassent trop tôt ou sortissent de la trajectoire circulaire. C’est ce qui arriva. L’un des cavaliers s’écarta du premier cercle. Les efforts désespérés d’un cavalier du second cercle pour l’éviter ne réussirent qu’à troubler sa monture. La collision fut terrible. Hommes et bêtes chutèrent lourdement dans un enchevêtrement de membres et de corps. Un moment plus tard, l’un des chevaux se hissa péniblement sur ses pattes et s’en alla au galop. Puis un cavalier se redressa et s’assit par terre. Mais l’autre restait immobile et son cheval se débattait en poussant d’horribles hennissements tandis qu’il essayait de se remettre debout en dépit de sa patte cassée.
Un long moment s’écoula avant que les infirmiers militaires n’emportassent le cavalier inconscient. Ballista remarqua qu’ils utilisaient une porte au lieu d’une civière, ce qui témoignait à la fois de leur manque total de préparation, et d’une certaine ingéniosité. Le maréchal-ferrant de l’unité mit lui aussi longtemps à arriver ; il lui fallait achever le cheval blessé. Tandis que trois hommes s’asseyaient sur l’animal condamné, le maréchal ferrant tira sa tête vers l’arrière. Dans un geste d’affection qui faisait peine à voir, il lui caressa le museau, puis, de son couteau qui scintillait au soleil, lui trancha la gorge. Le premier jet de sang atterrit à plusieurs pas, puis vint le sang artériel. Il s’épanchait rapidement, inexorablement, sur le sable. Les efforts du cheval mourant pour respirer par sa trachée sectionnée ajoutèrent une mousse rose à la mare rouge vif.
La cohorte avait fini par s’aligner devant la tribune, au prix de manœuvres maladroites. De nombreux hommes avaient l’air abattu. Ils ne regardaient pas leur nouveau Dux, mais le sol ou le dos du soldat devant eux. Cependant, Ballista remarqua avec agacement que certains le toisaient avec insolence, même la manière qu’ils avaient de se tenir semblait un défi.
« Que vais-je pouvoir leur dire ? pensa Ballista. Père-de-Tout, aidez-moi à trouver les mots ! »
— Silence ! Silence dans les rangs pour Marcus Clodius Ballista, Vir Egregius, Dux Ripæ.
Les murmures continuaient.
— Silence dans les rangs ! hurla Turpio.
Cette fois-ci, ils s’atténuèrent.
— Milites, dit Ballista, il me semble que les manœuvres militaires ont leurs propres règles. Ajoutez-en trop, et l’exercice devient une pantomime compliquée ; de la même manière, retirez-en trop et il ne restera plus rien pour montrer les capacités des unités. (Il marqua une pause, et les murmures cessèrent.) Vous n’avez effectué que très peu de manœuvres. L’infanterie ne s’est pas essayée au combat d’escarmouches, ni à la contremarche. La cavalerie n’a pas tenté de manœuvres compliquées : ni le xynema ni le touloutegon.
Les murmures reprirent.
— Pourtant, vous n’êtes pas à blâmer trop sévèrement. Vos effectifs réduits ainsi que votre équipement incomplet montrent que vous êtes négligés par vos officiers, tout comme votre éventail limité de manœuvres et votre incapacité à les effectuer correctement. Mais vous ne devez qu’à vous-mêmes votre adresse au tir.
Les hommes se turent. Ils étaient plus nombreux à regarder Ballista et ce n’étaient plus seulement ceux qui le toisaient avec défi.
— Dès ce soir, vous aurez un nouveau commandant. Dans deux jours, vous recommencerez l’entraînement. Au printemps, Cohors XX Palmyrenorum Milliaria Equitata sera au sommet de son art, comme il sied à une noble unité fondée sous le règne de Marc Aurèle, une unité qui a combattu sous les ordres de Lucius Verus, de Septime Sévère, de Caracalla, Valérien et Gallien.
Ballista conclut par les même mots que précédemment :
— À l’exception des détachements essentiels, qui seront constitués par le premier centurion Titus Flavius Turpio, vous avez tous quartier libre pour la journée.
Une nouvelle fois, les troupes se répandirent en acclamations et, en ordre pas plus serré qu’avant, sortirent du Champ de Mars.
Le messager se tenait debout à côté de la tête de son chameau et attendait. Le telones , le douanier, avait disparu à
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