L'Orient à feu et à sang
l’hôpital ou en prison. La solde et l’approvisionnement étaient à jour. Non seulement les hommes étaient équipés de pied en cap, mais le détachement disposait d’une réserve conséquente d’épées, de boucliers et d’armures. Après presque deux heures, Ballista s’était tourné vers Acilius Glabrio, qui avait depuis entrepris la lecture d’un recueil de poésies, L’Art d’aimer d’Ovide, et l’avait félicité pour la bonne gestion de son unité. Cela semblait aller de soi pour le jeune patricien. Il paraissait même décontenancé de se trouver dans la situation d’être complimenté par quelqu’un comme Ballista.
La sixième heure était, bien sûr, le moment du déjeuner. Pourtant, c’était l’heure à laquelle Turpio devait présenter les comptes de la Cohors XX à Ballista. Et la faim n’améliorait jamais l’humeur de ce dernier.
Lorsque le premier centurion était arrivé, suivi de l’ exactor et du librarius de l’unité, mais sans son officier de commandement, Ballista avait difficilement réprimé un accès de colère. Il ne s’enquit même pas de Gaius Scribonius Mucianus, mais ordonna qu’on lui remît tous les documents qu’ils avaient apportés avec eux. Puis il annonça qu’il se rendait à côté, au quartier général. Les clercs militaires s’éparpillèrent comme des poulets lorsque le petit groupe, mené par Ballista, fit irruption dans le temple d’Azzanathcona converti en quartier général. Dans le bureau des archives, Ballista avait ordonné qu’on lui apportât les deux registres généraux précédant celui en sa possession, ainsi que les livres de caisse faisant état de l’argent des soldats déposé « avec l’enseigne [52] » à la banque de l’unité. Décidant de mettre la faim de son côté, Ballista ordonna que Turpio, son comptable et son secrétaire vinssent le trouver au palais à la dixième heure, l’heure du dîner (et si d’aventure son tribunus réapparaissait, qu’il l’amenât avec lui, en état d’arrestation). Il insista sur le fait que cela donnerait le temps à son équipe et à lui-même d’étudier les documents dans le détail, et même de les passer au crible.
Au palais, Calgacus leur avait servi un déjeuner tardif : rôti de perdrix froid, le pain local, rond et non levé, des figues, des noix et des prunes de Damas séchées. Le tout étalé à un bout de la grande table de la salle à manger, l’autre extrémité étant occupée par les comptes de la Cohors XX.
Après avoir mangé, ils s’étaient mis au travail. Mamurra avait examiné le registre général pour la période en cours, lisant à haute voix le nom de chaque soldat et les annotations indiquant son affectation. Un trait signifiait que le soldat se trouvait avec l’unité et qu’il était disponible ; la mention ad frum (entum), qu’il était parti chercher des provisions de blé ; ad hord (eum) qu’il se procurait de l’orge pour les chevaux ; ad leones qu’il chassait le lion, et ainsi de suite. Enfin, il y avait les noms des malheureux en face desquels seule la lettre grecque thêta était écrite : l’abréviation romaine pour « mort ». D’autres annotations indiquaient le lieu où étaient cantonnés les détachements de la cohorte – Appadana, Becchufrayn, Barbalissus, Birtha, Castellum Arabum, Chafer Avira et Magdala.
Quand ils eurent terminé leur labeur, ils notèrent une anomalie : sur le document, l’effectif de l’unité était au complet – mais il y avait bien trop peu de traits et bien trop de soldats partis chasser le lion ou cantonnés dans des lieux aux noms étranges. Et seulement deux thêtas.
La prochaine étape consistait à comparer les informations contenues dans le registre général aux liste de dépôts « à côté de l’enseigne » afin de voir qui avait des économies, ou n’en avait pas, pour chaque type d’affectation.
La neuvième heure approchait et ils avaient fait environ les deux tiers de ce travail. Encore une fois, une tendance semblait se dégager : presque tous ceux dont le nom était suivi d’un trait possédaient des économies. Mais quasiment aucun des hommes en détachement n’en avait.
Le tonnerre était plus proche maintenant. La foudre éclairait de l’intérieur la ligne de nuages noirs. Le reste du ciel diffusait une lueur jaune. Les maux de tête de Ballista ne s’étaient pas apaisés. Il avait demandé qu’on lui apporte à manger et donné l’ordre que,
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