L'Orient à feu et à sang
depuis qu’il s’était rendu dans l’empire, toute sa vie lui semblait marquée par la soumission et les compromis sordides plutôt que caractérisée par la liberté.
Son humeur cynique et amère commença à se dissiper tandis qu’il pénétrait dans la partie nord-est de l’agora. Il avait toujours aimé les marchés : les bruits, les odeurs – l’avarice mal dissimulée. Une multitude d’hommes déambulaient. La moitié de l’humanité semblait être représentée. La plupart étaient vêtus à l’orientale, mais il y avait aussi des Indiens en turbans, des Scythes arborant leurs hauts bonnets pointus, des Arméniens coiffés de leurs toques, des Grecs en tuniques courtes, les long burnous des bédouins et, çà et là, une toge romaine ou les peaux et fourrures d’un membre d’une tribu du Caucase.
Il semblait y avoir une surabondance de produits de première nécessité – beaucoup de céréales, du blé principalement, et de l’orge ; beaucoup de vin et d’huile d’olive vendus en outres ou en amphores, et des olives noires et brillantes en quantité. En sa présence du moins, les édits de Ballista sur les prix semblaient être respectés. Rien ne montrait que des vivres eussent été retirés du marché. Tandis que le Dux et ses deux compagnons avançaient vers la partie nord de l’agora, les auvents rayés devinrent plus vifs, plus chic, et les victuailles qu’ils protégeaient du soleil passèrent des produits de base méditerranéens aux petites douceurs de la vie – fruits et légumes, pignons de pin, sauce de poisson et, les plus prisées de tout, les épices : poivre et safran.
Avant qu’ils n’atteignissent les portiques de la partie ouest de l’agora, les luxes avaient cessé d’être comestibles. Il y avait là des étals odorants de bois de santal et de cèdre ; trop chers pour être utilisés comme bois de construction ou comme bois à brûler, ils échappaient à l’édit de Ballista sur la réquisition du bois. Ici, on vendait de l’ivoire, des singes, des perroquets. Tandis que Maximus s’arrêtait pour examiner quelque bel article de maroquinerie, Ballista eut l’impression que l’on cachait discrètement une peau de chameau dans le fond de la boutique. Il s’apprêtait à demander à Demetrius d’en prendre note, mais le jeune homme scrutait intensément l’autre bout de l’agora, distrait une fois de plus. La plupart des biens les plus convoités se trouvaient ici : des parfums, de l’or, de l’argent, des opales, des calcédoines et surtout la soie douce et lustrée des Sères [61] de l’autre bout du monde.
Le marché aux esclaves, que Ballista avait en horreur, se tenait sous les portiques du sud de l’agora. Toutes sortes d’« outils doués de paroles » y étaient exposés. Il y avait des esclaves pour cultiver vos terres, pour tenir vos comptes, pour coiffer les cheveux de votre femme, pour vous chanter des chansons, pour vous verser à boire et, accessoirement, pour vous la sucer. Ballista observait la marchandise avec attention ; il y avait un type d’esclave qu’il cherchait toujours à acquérir. Après avoir inspecté tout ce qui était en vente, il revint au milieu des enclos à esclaves et cria à la cantonade une question simple et brève dans sa langue natale :
— Y a-t-il des Angles parmi vous ?
Tous les visages se tournèrent vers ce gigantesque seigneur de la guerre barbare qui hurlait des paroles inintelligibles dans une langue étrange, mais au grand soulagement de Ballista, personne ne répondit.
Ils passèrent devant le marché aux bestiaux et se dirigèrent vers le portique est, où était rassemblé le bas de gamme de l’agora. Là, les chiffonniers, les petits usuriers, les magiciens, les faiseurs de miracles et tous ceux qui vivaient sur le dos de la misère et de la faiblesse humaines racolaient le client. Les deux compagnons de Ballista lançaient des regards appuyés par-dessus leur épaule en direction de la ruelle aux prostituées. Pour Maximus, c’était à prévoir, mais Ballista ne s’attendait pas à cela de la part de Demetrius – il lui avait toujours semblé que le jeune Grec avait d’autres centres d’intérêt.
Mais Père-de-Tout savait combien lui-même avait besoin d’une femme. En un sens, cela serait si salutaire, si facile ! Mais d’un autre côté, cela ne serait rien de tout cela. Il y avait Julia, les promesses qu’il lui avait faites, son éducation.
Ballista pensa avec
Weitere Kostenlose Bücher