Louis Napoléon le Grand
celui de l'interdiction de Lorenzaccio, des poursuites contre Madame Bovary et du procès (pourtant révisé) contre les Fleurs du mal.
Prenons garde d'oublier, enfin, que Louis Napoléon a gardé le goût de l'étude, de l'érudition et de l'écriture.
Et si ses centres d'intérêt, faute de temps, sont forcément limités, il reste un passionné d'histoire. Ainsi s'explique l'étonnante entreprise dans laquelle il décide de se lancer vers 1860: écrire une Vie de César. Il réussira cette gageure avec l'aide d'une petite équipe d'où émergent Hortense Cornu — encore elle —,Mérimée, Mocquard, Alfred Maury, de l'Institut, Saulcy, l'amiral Jurien de La Gravière, Longpérier, et surtout Victor Duruy qu'il apprendra ainsi à connaître...
A la Cour, comme dans tout milieu de ce type, les avidités étaient grandes et les jalousies féroces. D'autant que l'air du temps est au développement économique, donc à la spéculation financière. Tout ce petit monde chamarré s'ingénie à boursicoter.
Il n'y a peut-être pas d'exagération dans la célèbre apostrophe de Gambetta à l'encontre de Rouher, bien des années plus tard, même si Louis Napoléon n'était vraisemblablement pas la cible la mieux choisie: « Vous n'étiez pas des gouvernants, vous étiez des jouisseurs. »
Et il est vrai que la Cour se complaisait à la fois dans la fête et dans la spéculation.
Sophie, la jeune femme que Morny allait épouser et ramener à Paris au terme de son ambassade extraordinaire à Moscou, et qui, longtemps familière de la Cour du tsar, disposait d'une base de comparaison, ne mâchait pas ses mots. « Ils sont tous prostoi (vulgaires) », assurait-elle...
Son mari ne méritait pas ce qualificatif, mais il incarnait, sans beaucoup s'en cacher, la force de ce déchaînement des intérêts.
C'était lui qui morigénait sa maîtresse, Fanny Le Hon, coupable à ses yeux de prendre trop à coeur la disgrâce provisoire dont il avait été l'objet après le décret sur la dotation des Orléans : « Si vous voulez que le million investi par votre famille dans l'opération du coup d'État demeure une bonne opération, il est urgent de changer d'humeur. »
Dans le fond, les relations ambiguës de Louis Napoléon et de Morny sont assez révélatrices de celles qu'il entretenait avec l'ensemble de son environnement. Relations en l'occurrence presque obligées, car Morny était son frère, le « presque » ayant son importance puisque, après tout, ce n'était qu'un frère « officieux ». Relations faites simultanément d'attirance et de répulsion. Comme le reste de l'entourage, Morny était, aux yeux de Louis Napoléon, tout à la fois encombrant, insupportable et indispensable.
Mais, du moins, Louis Napoléon ne trempa jamais personnellement dans les combines qui, autour de lui, se donnaient si souvent libre cours. Au contraire, il chercha à les contenir et à y mettre bon ordre.
Le ton de son intervention dans la querelle sordide qui opposa Morny à son ex-maîtresse en est une bonne illustration. Il obligea le duc à verser 3 millions et demi à la belle éplorée ; et prit la plume pour lui expliquer les mobiles de son arbitrage:
« ... Il y a des situations où la publicité vous tue quand bien même l'adversaire aurait tous les torts. Ainsi, quand on a vécu pendant vingt-cinq ans avec une femme, cette femme-là aurait beau être votre débitrice, le monde n'admet pas la discussion des comptes faite publiquement [...]. Il fallait à tout prix éviter un procès. J'ai fait tous mes efforts pour arriver à ce résultat [...]. Aussi, quoique vous trouviez peut-être que vos intérêts pécuniaires aient été lésés, je crois vous avoir rendu un très grand service, car la source des accusations contre vous se trouve tarie [...]. C'est pour ce motif que j'ai sans cesse désiré vous voir retirer des affaires. Si vous avez réalisé des bénéfices dans les entreprises industrielles, je suis persuadé que vous l'avez fait légitimement et honorablement, mais je vous signale ces faits pour vous prouver tout le danger des affaires. »
Il reste que cette Cour et cet entourage obligé — conséquence directe du rétablissement de l'Empire — n'auront rien ajouté à la gloire de Louis Napoléon. Ils lui auront même beaucoup coûté. Car le groupe de pression ainsi constitué ne devait pas manquer de peser lourd. Mais bien rarement dans le sens voulu par l'empereur.
***
Une fois l'Empire fait et ainsi
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