Louis Napoléon le Grand
épouser l'esprit de corps. Pour marquer son dédain ou son ennui, il affectait de s'endormir quand Baroche parlait. Ou encore il ne s'interdisait pas de lâcher des commentaires assassins, en plein discours.
« Il affecta donc de donner à la soumission des airs de liberté. A cette conduite opportune, il ajouta quelques concessions très appréciées pour l'interprétation du règlement. »
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La distribution des rôles étant établie et tout le monde étant en place, la pièce avait pu commencer.
Les moyens d'action de Louis Napoléon laissaient sans doute à désirer. Mais c'est lui qui les avait façonnés.
Reste à savoir ce qu'il en fit.
VI
LE MONDIALISTE
Louis Napoléon a voulu mettre la politique étrangère de la France au service de l'idée qu'il se faisait de l'organisation et de l'évolution du monde. Attitude originale et même radicalement nouvelle qu'on va beaucoup lui reprocher et dont il paiera le prix; elle marque une rupture avec une conception égocentrique des affaires internationales inspirée par le seul intérêt national. Jamais, même sous la Révolution, la France ne s'était reconnue une vocation à ce point messianique. Et Louis Napoléon est probablement le premier chef d'État à mériter le titre de mondialiste. Il le revendique, d'ailleurs, implicitement quand il s'écrie: « Celui-là fut un homme de génie qui reconnut que l'équilibre européen n'est plus comme autrefois sur les Alpes, les Pyrénées, sur la Vistule ou sur le Pont-Euxin, mais qu'il embrasse le monde entier ».
De fait, le rayonnement de la France dans le monde ne remonte ni à la Révolution, ni au premier Empire. Seuls, alors, l'aventure égyptienne mise à part, quelques pays d'Europe vibrèrent à la propagation de nos idées... ou sous les bottes de nos soldats.
Il ne remonte pas davantage à leurs successeurs falots, sous le règne desquels notre pays vécut comme tétanisé et replié sur lui-même. La France, en réalité, n'a une politique mondiale que depuis le second Empire. Elle le doit à Louis Napoléon.
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Si l'on trouve le compliment exagéré, on peut se reporter auxtrès vives critiques qu'a suscitées cette nouvelle politique étrangère. Elles corroborent l'analyse puisqu'elles en admettent les prémisses.
Par exemple, Paul Guériot, pourtant l'un des historiens les plus compréhensifs à l'égard de Louis Napoléon, résume ainsi sans aucune indulgence l'ensemble de sa diplomatie:
« [...] Napoléon III, écrit-il, fut victime de son imagination et dupe d'erreurs généreuses. Il ne pouvait se résoudre à admettre que, dans le maniement de la politique étrangère, le devoir d'un chef d'État consiste souvent à se maintenir, à se raidir dans l'égoïsme national. Il voulut se faire le champion des peuples opprimés, intervenir comme redresseur de torts, jouer en Europe et même au-delà le rôle d'arbitre-providence. La Turquie est menacée par l'Empire russe; il interviendra en faveur de la Turquie par la guerre de Crimée. L'Italie souffre sous la domination de l'Autriche; il n'hésite pas à soutenir l'Italie. Le Mexique est déchiré de luttes intestines, menacé d'absorption par les États-Unis; Napoléon III conçoit le dessein de pacifier le Mexique, de le régénérer par la création d'un grand Empire latin qui contiendra l'avidité anglo-saxonne. »
Dans l'exposé des faits, cette présentation des choses est tout à fait acceptable; elle l'est beaucoup moins dans le commentaire, qui s'appuie sur une conception de la politique extérieure avec laquelle Louis Napoléon est précisément en rupture déclarée.
Sa politique étrangère procède de trois sources d'inspiration au demeurant si étroitement complémentaires qu'il est souvent difficile de faire la part des unes et des autres : c'est d'abord le principe des nationalités; ensuite, la reconnaissance de certaines valeurs dont la propagation paraît nécessaire: l'ordre, le progrès, l'expression populaire; enfin, et bien sûr, l'intérêt de la France.
L'empereur avait-il, à cet égard, la ferme résolution de rendre à la France ses frontières naturelles? Ses efforts pour récupérer Nice et la Savoie peuvent le donner à croire. Sans doute rêva-t-il à la rive gauche du Rhin, à la Belgique, même, avant de tenter de se rabattre sur le Luxembourg... Tout indique pourtant que tel ne fut pas son objectif principal: Louis Napoléon ne négligea jamais les occasions qui s'offraient de faire profiter la
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