Louis Napoléon le Grand
accepter un compromis boiteux qui avait tout l'air d'une capitulation en rase campagne. Sa lettre du 4 mars au président de l'Assemblée est l'aveu de son impuissance à obtenir davantage:
« ... Le refus de la Chambre d'accueillir le projet m'eût été pénible sans doute, mais il n'aurait en rien influé sur mes sentiments et sur ma conduite. Je comprends néanmoins, d'après vos explications, qu'un incident, léger d'abord, soit devenu, par lescirconstances qui s'y sont rattachées, assez grave pour placer la majorité dans une fâcheuse alternative, ce qui a fait qu'un grand nombre de Députés, comme vous me l'avez dit, préférerait une loi comprenant dans son ensemble les services militaires exceptionnels.
« Adoptant cette idée, j'ai résolu de présenter un nouveau projet qui, soumettant à la Chambre l'approbation d'un principe général, permette d'assurer, dans de justes limites, à toutes les actions d'éclat, depuis le Maréchal jusqu'au soldat, des récompenses dignes de la grandeur du pays.
« Le Corps Législatif qui m'a toujours donné un concours si loyal, qui m'a aidé à fonder l'Empire et les institutions qui doivent nous survivre verra avec plaisir, j'aime à le penser, que je m'empresse d'adopter le moyen de rétablir la confiance mutuelle et d'effacer les traces d'un désaccord toujours regrettable entre des pouvoirs issus de la même origine et travaillant consciencieusement dans le même but. »
La lettre présente d'autant plus d'intérêt que Louis Napoléon profite de cette mince occasion pour rappeler dans quel esprit, selon lui, les institutions doivent fonctionner et quelle est à ses yeux l'importance du Corps législatif:
« L'esprit de nos Institutions et mon sentiment bien connu pour la Chambre auraient dû nous [...] préserver [de ce malentendu]. En effet, aujourd'hui, les conflits sont presque impossibles; les lois sont discutées pour elles-mêmes et non en vue du maintien ou du renversement d'un Ministère. Lorsque le Gouvernement a exprimé sans détour son intention, les résolutions du Corps Législatif sont d'autant plus libres que, dans les cas ordinaires, le désaccord ne doit troubler en rien la marche des affaires. »
Dès novembre 1854, Louis Napoléon avait dû se résigner à nommer Morny à la tête du Corps législatif pour en contrôler les écarts, car le danger, il le comprenait, pouvait bien venir, non de l'opposition, numériquement limitée et durablement affaiblie, mais de la majorité elle-même.
Cependant, le concours de Morny, revenu d'une ambassade extraordinaire fort réussie auprès du tsar, avait, comme bien l'on pense, un prix. D'abord, bien sûr, il fallut le laisser mettre l'hôtel de Lassay en coupe réglée. On a eu, il est vrai, des illustrations contemporaines de la même rapacité; du moins agit-il avec goût eninventant un bonapartisme hôtelier qui fit, ultérieurement, des émules.
Le demi-frère de l'empereur se lança également dans un jeu personnel et subtil qui, pour le moins, anticipait fâcheusement et intempestivement sur les intentions de l'empereur.
On peut croire M. de Boissieu quand il rapporte que Morny « était passé maître dans l'art de lâcher et de rassembler les rènes de son attelage parlementaire. S'il laissait à peu près tout dire, c'était moins un droit reconnu qu'une faveur accordée ». Et c'est vrai qu'il avait déclaré ne pouvoir tolérer que « des observations présentées avec tact, loyauté et bon esprit ». Pourquoi aussi ne pas le croire, quand il manifeste en maintes occasions son mépris pour les députés, ce « troupeau de cent cinquante individus qui, dit-il, m'embêtent du matin jusqu'au soir ». Ou lorsqu'il exprime, un jour de chasse, son admiration à son hôte qui pouvait identifier toute la meute : « Tiens, vous connaissez mieux vos chiens que moi mes députés. »
Mais, très vite, il a compris tout le parti qu'il pouvait tirer de sa nouvelle situation. Il a su discerner que, dans une assemblée parlementaire, seuls quelques hommes comptent, qu'ils soient des vedettes ou, plus simplement, des meneurs. C'est avec eux qu'il va entretenir des rapports suivis et de plus en plus étroits.
Oui, comme l'a dit Pierre de La Gorce, dans son Histoire du second Empire :
« La grande habileté de Monsieur de Morny fut qu'ayant été nommé par Napoléon III, il se fit aussitôt, non l'homme de l'Empereur, mais celui de l'Assemblée.
« Avec un art consommé, il s'appliqua à en
Weitere Kostenlose Bücher