Louis Napoléon le Grand
d'abord la mesure de ce que doit être selon Louis Napoléon l'action diplomatique moderne : non plus seulement une manière d'arranger les rapports entre quelques monarques, mais un moyen nouveau de peser et d'influer sur la vie quotidienne, l'activité, le niveau de vie du plus grand nombre. Il illustre ensuite le rôle personnel de l'empereur, le poids de sa volonté.
Louis Napoléon a été converti au free trade lors de ses séjours outre-Manche, où il a vu Peel décider en 1846 la baisse des droits sur les céréales. Il a compris quelle stimulation de l'économie peut résulter de la libre-concurrence. Il en a discerné l'intérêt pour la France qui risque de s'assoupir derrière ses barrières douanières, alors qu'il lui faudrait prendre toute sa part dans la compétition économique qui devient la loi commune. Il a la conviction que c'est un des chemins à emprunter pour atteindre son objectif de toujours: l'amélioration de la condition ouvrière.
C'est peu dire que la France n'est pas prête — à quelques exceptions près — à ce qu'elle considère comme un saut dans l'inconnu. Il n'est guère que les saint-simoniens, quelques professeurs d'économie politique, les négociants des ports et les viticulteurs pour être acquis à cette idée. Jusqu'ici, toutes les tentatives de libération des échanges se sont heurtées à l'opposition d'un Corps législatif plus que réticent: les députés n'ont rien accepté d'autre que des dégrèvements sur les importations de fer et de charbon, se refusant obstinément à aller au-delà. Les industriels et les céréaliers sont au premier rang des opposants.
Louis Napoléon est résolu. Il envoie donc Michel Chevalier à Londres convaincre l'économiste Cobden de venir discuter avec lui du projet. L'entretien, secret, aura lieu à Saint-Cloud. Entre autres considérations techniques, ils évoquent tous deux l'inscription qui figure sur le socle de la statue élevée à Robert Peel : « Il mérita la reconnaissance du pauvre en abaissant le prix des denrées de première nécessité. »
Ce qui conduit Louis Napoléon à s'exclamer : « Ah! Voilà un éloge que je voudrais mériter! »
En fait d'éloge, lui qui voulait faire « quelque chose pour dissiper l'inquiétude et remettre l'industrie à l'oeuvre », lui qui voulait frapper l'opinion, n'aura droit, une fois la chose connue, qu'à un concert de récriminations. Pour l'heure, seuls sont dans la confidence Rouher, Baroche et Fould, ainsi que les frères Pereire et Persigny, ambassadeur à Londres.
Début janvier, on s'efforce de préparer l'opinion en publiant une lettre de l'empereur au ministre d'État, qui est un véritable deuxième discours de Bordeaux: l'empereur y déclare vouloir « inaugurer une nouvelle ère de paix [et] en assurer les bienfaits à la France ». Il énumère les moyens de cette politique, l'amélioration des transports et la baisse de leur coût, la vie à bon marché, bref: le « développement de la richesse nationale par un système général de bonne économie politique ».
Le 23 janvier, on apprend la signature du traité, qui sera suivi d'accords analogues et successifs avec toutes les puissances voisines. C'est un tollé. On parle de « coup d'État commercial » — il est vrai que le Corps législatif (et pour cause!) a été tenu totalement à l'écart (ce qui n'est pas inconstitutionnel) et dans l'ignorance (ce qui était plus prudent). On crie à la folie — car ce serait folie que de décider un désarmement douanier face à une économie aussi forte que celle de l'Angleterre.
En fait de désarmement, les mesures prises n'y ressemblent que d'assez loin : il n'y a plus de prohibitions mais l'abaissement des droits de douane sur les matières premières et les produits industriels laisse subsister une bonne marge de protection; et il faudra attendre juin 1861 pour assister à l'abolition de l'échelle mobile qui protégeait les céréaliers.
Pourtant, rien n'y fait: ni la décision de mettre en place un système de prêts destiné à aider les industriels à soutenir la concurrence, ni les apaisements fournis par Rouher qui, très justement, rend aux choses leurs exactes proportions, en observant : « Il ne s'agit pas de libre-échange; il s'agit de mesures prudentes de nature à hâter les progrès de l'industrie sans jamais en compromettre le développement. Est-ce qu'il y a du libre-échange avec un maximum de 30 p. 100 de droits protecteurs? »
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