Louis Napoléon le Grand
conséquent de l'Amérique Centrale et du passage entre les Deux-Mers, il n'y aurait plus désormais d'autre puissance en Amérique que celle des Etats-Unis. Si, au contraire, le Mexique conquiert son indépendance et maintient l'intégrité de son territoire, si un Gouvernement stable s'y constitue par les armes de la France, nous aurons posé une digue infranchissable aux empiètements des États-Unis, nous aurons maintenu l'indépendance de nos colonies des Antilles et celles de l'ingrate Espagne : nous aurons étendu notre influence bienfaisante au Centre de l'Amérique et cette influence rayonnera au Nord comme au Midi, créera des débouchés immenses à notre commerce et procurera les matières indispensables à notre industrie. »
L'analyse était-elle si sotte? L'intention manquait-elle de générosité? Le dessein péchait-il par incohérence? Ce n'est pas si sûr.
La situation des États-Unis, empêtrés dans leur conflit intérieur, et par là contraints de renoncer provisoirement à une application jalouse de la doctrine de Monroe, créait une exceptionnelle occasion d'agir. Le Mexique était en état de décomposition avancée et son histoire récente se résumait à celle d'un dépeçage systématique par son puissant voisin qui avait annexé, au cours des années précédentes, le Texas, la Californie et le Nouveau-Mexique. Entre 1821 et 1850, le Mexique n'avait pas consommé moins de quarante-six chefs d'État et connu les régimes les plus divers, ce qui n'était pas la meilleure manière de résister aux appétits américains. Enfin certaines forces locales exprimaient leur lassitude devant la situation d'anarchie du pays, tandis que l'État anticlérical et xénophobe créé par Juarez, aux méthodes expéditives, ne paraissait que peu susceptible d'obtenir le consensus nécessaire. Quant à l'idée du profit à tirer d'un meilleur équilibre entre l'influence des États-Unis et celle des pays européens en Amérique centrale, elle semblait, comme on dit, tenir la route.
C'est bien ainsi que la jugeaient les Anglais qui, s'ils n'étaient pas décidés à y travailler directement, étaient tout prêts à en profiter, le moment venu. Palmerston le confie à lord Russell: « Quant à son idée de Monarchie, s'il pouvait la faire prévaloir, cela serait un grand bénéfice pour le Mexique et un bienfait pourtous les pays qui ont affaire avec le Mexique. Ce projet arrêterait aussi les Nord-Américains soit des États fédéraux ou confédérés dans leur tentative d'absorber le Mexique. Si le Nord et le Sud sont vraiment désunis et si on peut en même temps transformer le Mexique en Monarchie prospère, je ne connais pas de solution qui serait plus avantageuse pour nous. »
Très vite pourtant, il s'avère que l'affaire est appelée à mal tourner. Ses objectifs vont paraître rapidement suspects aux yeux de l'opinion nationale et internationale; car l'opération sent la magouille financière, mal camouflée sous des dehors humanitaires. Les 10 millions de dettes dont on avait évoqué officiellement la récupération sont subrepticement devenus 60 ! Pis encore : s'y rajoutent 75 millions, prétendument dus au financier suisse Jecker, créance que contestent les Anglais, le prêt — dont le montant est d'ailleurs sujet à discussion — ayant été en réalité consenti personnellement à l'ancien président Miramon. En fait, Morny est passé par là. On prétend qu'il aura droit à 30 p. 100 des sommes remboursées. Il ne ménage bien sûr aucun effort pour en obtenir le paiement. L'effet produit est évidemment désastreux et la légitimité de l'intervention s'en trouve irrémédiablement affectée.
Quant à l'accueil du milieu local, qu'on supposait très favorable, il est beaucoup moins chaleureux que prévu. Si l'on imaginait pour les soldats alliés l'avance triomphale d'une armée de libération, on va vite être déçu. Il y a loin entre les descriptions fallacieuses des envoyés mexicains et la réalité... L'appui monarchiste dont on attendait monts et merveilles fait totalement défaut. Très vite, Saligny, représentant de la France auprès du corps expéditionnaire, s'en ouvre à Louis Napoléon:
« J'ai, Sire, la profonde conviction que dans ce pays les hommes à sentiments monarchiques sont très peu nombreux [...j. Depuis deux mois que les drapeaux alliés flottent sur Veracruz, et aujourd'hui que nous occupons les villes importantes d'Orizaba, Cordoba, Tehuacan, dans
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