Louis Napoléon le Grand
pouvait revenir purement et simplement: il fallait ou bien combiner adroitement le passé avec l'avenir ou bien laisser les événements se succéder sans y mettre la main. On n'a pas fait l'un, j'ai dû faire l'autre. »
Reste Rome. Rome qui pose un problème terrible, intérieur et extérieur. Louis Napoléon l'a dit au pape : « Jamais mes troupes ne deviendront un instrument d'oppression contre les peuples étrangers. » Il ne fera donc rien — il l'avait déjà annoncé — pour empêcher l'écroulement des États pontificaux. Mais il ne saurait se résoudre à abandonner la Ville éternelle et ses abords immédiats. Ses troupes d'ailleurs s'y trouvent. Que se passera-t-il donc si Garibaldi met à exécution son intention de marcher sur Rome?
Cavour va lui sauver la mise. L'armée piémontaise fond sur Naples, via les États pontificaux, pour éviter le pire. Elle bat la petite armée de Lamoricière, un exilé du 2 Décembre, qui a rassemblé des volontaires de toute l'Europe catholique et qui combat pour le compte de Pie IX. On obtient alors de Garibaldi non seulement qu'il renonce à son projet, mais encore qu'il reconnaisse Victor-Emmanuel comme roi d'Italie. Des plébiscites consacrent la réunion au nouveau royaume de toute l'Italie du Sud, des Marches et de l'Ombrie. C'est là le tribut supplémentaire que le Piémont paie à Louis Napoléon.
L'empereur peut dès lors affirmer qu'il restera à Rome aussilongtemps que la réconciliation n'aura pas été scellée et qu'il n'aura pas obtenu toutes les garanties utiles pour la sécurité du pape. Réconciliation et garanties qui paraissent un moment à portée de main. Mais Cavour meurt en juin 1861, alors qu'il discutait avec Thouvenel un compromis prévoyant l'évacuation française contre l'engagement de respecter Rome. N'y a-t-il pas lieu de souligner ici que Louis Napoléon avait eu l'intuition de la seule solution possible — solution qui ne prévaudra que plusieurs décennies plus tard —, la réconciliation du pape et de l'Italie à la faveur de la réduction du pouvoir temporel à un reliquat symbolique ?
Pour l'heure, l'unité italienne est faite et Louis Napoléon en est, objectivement, le principal artisan. Sans doute s'est-elle réalisée plus rapidement qu'il ne l'avait pensé. Est-ce une raison pour lui en refuser, comme trop souvent, le mérite ? Son sentiment, il l'exprime à Victor-Emmanuel, dans des termes d'une rare noblesse : « Je pense que l'unité aurait dû suivre et non précéder l'union. Mais cette conviction n'influe en rien sur ma conduite. Les Italiens sont les meilleurs juges de ce qui leur convient et ce n'est pas à moi, issu de l'élection populaire, de prétendre peser sur les décisions d'un peuple libre. »
C'est vrai qu'il n'avait annoncé comme objectif de la France que l'indépendance de l'Italie et qu'il récolta son unité. Beaucoup lui en font le reproche : les faits n'ont pas seulement déjoué ses prévisions, ils ont aussi, croit-on généralement, contredit ses espérances. Disant cela, on est sans doute victime d'un effet d'optique. Que Louis Napoléon n'ait pas cru à la probabilité de l'unité, c'est certain, qu'il l'ait subie avec regret, c'est beaucoup plus douteux. Une Italie unifiée par les armes de la France n'eût pas été plus rétive à une alliance et à une protection françaises que la fédération à laquelle il avait songé...
En fait, Louis Napoléon traînait depuis 1849 le boulet romain et ne pouvait décemment opter pour une solution préjudiciable au pape, option qui lui aurait aliéné les catholiques français. Au fond de lui, il n'avait rien contre une Italie unie. Même si, on l'a constaté, il a tenu des propos contraires ; propos officiels, imposés par les circonstances et les contraintes de l'heure. Mais quand, après la victoire de Magenta, dans une proclamation aux Italiens, il avait laissé parler son coeur, son discours n'était pas du tout le même : « Mon armée ne s'occupe que de contenir vos ennemis etde maintenir l'ordre intérieur. Elle ne mettra aucun obstacle à la manifestation de vos voeux légitimes. Volez sous les drapeaux du Roi Victor-Emmanuel. Ne soyez, aujourd'hui, que soldats, demain vous serez citoyens libres d'un grand pays. »
La guerre d'Italie a laissé souvent une impression d'inachevé, voire un goût d'amertume. Louis Napoléon aura été, du fait des circonstances, victime d'une terrible ingratitude. En vérité, l'Italie lui doit son
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