Louis Napoléon le Grand
partie de celle-ci, l'accès à des conditions de viemeilleures est incontestable. Pour d'autres, en revanche, notamment les femmes seules ou les ouvriers les plus âgés, le problème même de la subsistance se pose.
Prosper Mérimée, qui — comme on sait — ne s'émeut pas facilement, reconnaît, tout en faisant la part des choses, que, dans certains secteurs, la vie est particulièrement difficile. Ainsi, écrit-il, le 28 novembre 1856: « Les ouvriers se plaignent de la cherté des vivres et des logements, mais ils ne disent pas qu'ils ont autant d'ouvrage qu'ils en veulent et que leur journée se paie le double juste de ce qu'elle valait il y a dix ans. Le renchérissement de la vie matérielle n'est pas en proportion avec celui de la main-d'oeuvre. Les gens très malheureux, ce sont les employés et les ouvrières qui font les chemises. Je n'ai guère de pitié que pour les femmes mais j'en vois de pauvres vieilles qui me fendent le coeur. »
Si le second Empire ne fut donc pas dans les villes le régime de la vie à bon marché, il est incontestable qu'il fut celui du plein emploi. C'est là un immense progrès, qui ne pouvait qu'induire une amélioration générale du niveau et des modes de vie. S'il subsiste des inégalités de répartition entre catégories ou entre régions, la masse de la population française est à présent mieux nourrie, mieux logée et mieux traitée.
Un certain nombre d'indications le confirment: il a été démontré, par exemple, que la proportion des conscrits déclarés bons pour le service, à critères pratiquement inchangés, s'était considérablement accrue ; on remarque une augmentation de leur taille moyenne. La consommation de viande, produit dont pourtant le prix ne baisse pas, s'élève régulièrement, passant de 23 kilos par habitant et par an en 1852 à 26 kilos dix ans plus tard.
L'accès aux caisses d'épargne s'ouvre à des couches nouvelles. Entre 1852 et 1870, le nombre des livrets n'est pas loin de tripler : il passe de 742 889 à 2 079 141; et, d'après le bulletin de 1860 de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, 120 000 ouvriers sur les 416 000 que compte l'agglomération parisienne avaient pu en ouvrir.
Cependant, même si le bien-être se démocratise, la situation comporte de multiples imperfections. Louis Napoléon en était plus conscient que quiconque, lui qui faisait réaliser régulièrement des enquêtes pour tenter de quantifier — d'évaluer dirait-on aujourd'hui — les conditions de propagation du progrès. Cesimperfections, il allait s'attacher à leur porter remède par la mise en oeuvre d'une politique sociale volontariste, dont on n'avait connu jusqu'alors ni équivalent ni précédent.
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La politique sociale de Louis Napoléon : encore un domaine où seules sa volonté personnelle et son obstination peuvent expliquer l'originalité de la démarche et l'ampleur des résultats. En fait, le second Empire doit à son souverain d'avoir été le premier régime à entreprendre des actions soutenues et cohérentes, dignes du nom de « politique », sur un terrain jusque-là laissé en friche par la puissance publique, qui l'abandonnait volontiers à la bonne volonté patronale ou à la charité religieuse.
L'échec retentissant des quelques velléités sociales de la République de 1848, dont les contradictions s'achevèrent dans le sang, l'absence de tout nouveau progrès significatif dans les premières années de la III e République, tout ce qui s'est passé immédiatement avant et après lui invitent à placer très haut les mérites propres à l'empereur. Pourtant, ses initiatives, quels que soient leur nombre et leur intérêt, n'obtinrent souvent pas mieux que l'indifférence polie ou l'étonnement agacé de la plupart de ses contemporains, quand elles ne provoquèrent pas leur effarement hostile. Mme Dosne, l'égérie de Thiers, a bien résumé la position des classes aisées devant tant de preuves de sollicitude pour la classe ouvrière : « Son dada, c'est le peuple. » A gauche, c'est sans complaisance qu'on observait ce réactionnaire sorti de son rôle, comportement que ne prisent jamais les professionnels de la politique. Les uns cherchaient à le contrer en faisant de la surenchère; les autres, en délicatesse avec la classe ouvrière comme bien des républicains depuis certains événements d'un passé encore proche, ne trouvaient dans ce comportement jugé bizarre qu'un motif supplémentaire pour
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