Louis Napoléon le Grand
bien souvent malade ou mutilé. L'hospice le reçoit à l'égal du soldat, et la société de secours mutuel l'aide maintenant à soutenir sa famille. Mais quand il sort de l'hôpital, assez rétabli pour ne pas y rester, trop faible cependant pour reprendre son travail, il traîne sa convalescence dans la misère. »
Louis Napoléon s'intéresse aussi au logement des ouvriers et affecte à son financement une partie des fonds de la dotation d'Orléans. Il s'y prend en deux temps, lançant d'abord les premières cités ouvrières qui ne connurent guère de succès, puis décidant de subventionner la création de logements à très bon marché par les établissements industriels, ce qui s'avéra de bien meilleure méthode.
Tout ce premier pan de l'action impériale peut prêter à sourire... voire à grincer des dents. C'est à lui sans doute que s'applique le mieux cette appréciation de Georges Duveau: « L'Empereur voulait que les ouvriers fussent bien nourris, bien logés, qu'ils eussent régulièrement du travail et qu'ils fussent àl'abri dans leurs vieux jours, mais la bonne volonté impériale errait parfois dans les nuées et ne se traduisait pas toujours en actes précis. »
Louis Napoléon en vint très vite à des mesures de plus profonde portée, requérant généralement la sanction législative.
Les diverses étapes du parcours qu'il eut à accomplir pour améliorer le sort des condamnés de droit commun donne une assez bonne idée de l'évolution de ses méthodes. Dans un premier temps, il laisse parler son coeur, d'autant plus prêt à l'entendre qu'il a été lui-même prisonnier; il décide donc de mettre fin au port du boulet, d'adoucir les conditions d'incarcération et de développer dans les prisons l'assistance médicale. Dans un second temps, prenant conscience des limites de ses initiatives, il s'attaque aux problèmes de fond : le but est d'obtenir du législateur l'abolition de la « mort civile » qui privait de tous droits juridiques les condamnés aux peines les plus lourdes, et la réforme du Code pénal dans le sens de l'atténuation de ces peines. L'oeuvre d'humanisation judiciaire est d'ailleurs considérable : elle compte l'aménagement de l'assistance judiciaire, en janvier 1851, la création du recours gracieux par un décret du 18 décembre 1852, celle de la liberté provisoire par la loi du 4 avril 1855.
Comme il avait souvent affaire à très forte partie, ses tentatives ne furent pas toujours couronnées de succès. Ainsi ne put-il l'emporter dans cette trop fameuse affaire du livret ouvrier. Dans ce livret que, depuis 1803, chaque ouvrier était obligé de porter sur lui, les changements d'emploi devaient être consignés, avec leurs motivations. C'est dire qu'une forte tête n'avait aucune chance de passer inaperçue et de se faire oublier. De plus, l'habitude avait été prise par les patrons, quand ils avançaient de l'argent à un ouvrier, de conserver ledit livret en gage, ce qui interdisait au débiteur de quitter son emploi et limitait singulièrement sa liberté d'expression. Il était donc aisé de comprendre les sentiments d'aversion des intéressés à l'égard de ce document, symbole d'une condition inférieure.
Dès 1854, Louis Napoléon avait interdit par décret de faire figurer sur le livret le moindre commentaire. C'était un premier résultat. En 1869, à l'occasion d'un discours au Conseil d'État, Louis Napoléon fit connaître son intention d'aller plus loin et proposa carrément la suppression du livret. Sa proposition, fort mal reçue, n'eut pas de suite; il fallut attendre encore vingt ans pour qu'elle soit satisfaite.
D'autres initiatives ont des succès plus immédiats. C'est le cas, en 1866, lorsque Louis Napoléon adresse une lettre publique au ministre d'État en vue de la création d'une Caisse des invalides du travail. Il s'agit d'offrir aux travailleurs des villes et des champs la possibilité de s'assurer contre les accidents du travail entraînant une incapacité continue, l'assurance couvrant les affiliés et, en cas de décès, leurs veuves. Pour facultative qu'elle soit, l'institution représente un progrès incontestable. Avec les sociétés de secours mutuel que l'empereur avait déjà systématiquement encouragées, avec la loi de 1853 sur le droit à pension des fonctionnaires et agents de l'État, avec les textes apportant une garantie de l'État aux premiers embryons de caisses vieillesse, elle préfigure les systèmes
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