Louis Napoléon le Grand
généralisés qui, à partir de tels modèles, allaient plus tard se mettre progressivement en place. Dans un premier décret du 15 juillet 1850 posant les fondements de ces sociétés, Louis Napoléon avait exprimé ses intentions : le texte avait été préparé parce que « le Président de la République [avait] estimé qu'en groupant les travailleurs et en leur permettant de s'assurer contre les éventualités malheureuses, on contribuait à l'amélioration du sort des masses laborieuses ».
Le changement législatif le plus important intervient en 1864 et concerne le droit de coalition. En proposant de l'accorder aux ouvriers, Louis Napoléon entendait leur reconnaître le droit de grève, rompant ainsi avec une attitude frileuse et répressive adoptée par la Révolution et au moins partiellement confirmée par le premier Empire. La loi des 14-17 juin 1791 relative au délit de coalition avait proscrit toute entente sur les conditions de travail, même s'il n'y avait pas « le refus simultané de travail qu'on appelle grève ». En 1810, le Code pénal avait quelque peu libéralisé le système ; l'entente n'était plus réprimée, mais seulement sa manifestation par la grève.
L'initiative du changement procède de toute évidence de la volonté personnelle de l'empereur, et nul ne pourra jamais prétendre qu'elle fut arrachée par « le développement des luttes ». Si au début des années 1860, quelques voix s'étaient élevées pour réclamer l'abrogation des articles 414 et 415 du Code pénal, c'était par référence à l'expérience anglaise, expérience que Louis Napoléon avait implicitement invité certains responsables ouvriers à découvrir et imiter. Il avait subventionné le voyage d'une délégation ouvrière à l'Exposition universelle de Londres, souhaitantqu'il fût l'occasion de rencontres avec les riches et puissants syndicats britanniques. Non seulement Louis Napoléon n'avait pas cherché à dissimuler son patronage, mais il l'avait revendiqué: à leur retour, trois des chefs de la délégation furent décorés de la Légion d'honneur. Plus tard, il ne dut voir que des avantages à la publication par l'ouvrier Tolain d'un texte dit Manifeste des Soixante, dont les thèses correspondaient pour l'essentiel à sa propre pensée : « Le Suffrage Universel, peut-on y lire, nous a rendus majeurs politiquement, mais il nous reste à nous émanciper socialement [...]. Nous ne voulons pas être des clients ou des assistés, mais des égaux; nous repoussons l'aumône, nous voulons la justice. »
Louis Napoléon avait par avance annoncé la couleur. En 1862 et 1863, il avait gracié plusieurs ouvriers arrêtés et condamnés en application des articles 414 et 415. Il s'agissait donc de mettre le droit en accord avec le fait. Lors de l'ouverture de la session législative de 1864, l'empereur posa lui-même le principe d'un projet de loi d'abrogation, en déclarant: « Adoucir la législation applicable aux classes ouvrières dignes de notre sollicitude, ce sera là un progrès auquel vous aimerez vous associer. »
Tout bien considéré, le débat politique aurait dû rester relativement calme, les deux principaux camps ayant peu de raisons de s'enflammer. Les uns, les conservateurs, pouvaient se résigner, sans enthousiasme, à accepter ce qu'ils considéraient comme un caprice de l'empereur. Quant aux républicains, il n'était pas interdit de penser qu'ils éprouveraient quelque difficulté à combattre un dispositif qui répondait si évidemment à une attente sociale et à leurs propres idées.
En fait, le projet fut on ne peut plus mal accueilli. A droite, de telles concessions à l'ennemi de toujours paraissaient inadmissibles; quand le député Seydoux dénonçait le texte comme une « loi de guerre », il exprimait l'opinion de beaucoup. Les républicains choisirent la voie de la surenchère, réclamant par surcroît les droits d'association et de réunion, faute desquels le texte n'était, selon eux, qu'une coquille vide.
Ollivier, le rapporteur du texte, avait eu du mal à admettre l'hostilité de la gauche et, bien des années plus tard, exprimait encore son indignation rétrospective : « Qui donc obligeait l'Empereur à présenter, malgré la résistance de son Conseil d'État et de sa majorité, une loi sur les coalitions, s'il n'avait pasl'intention sincère de les permettre réellement? [...] Il faut être bien fourbe pour prêter, même à ses ennemis, une aussi grossière
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