Louis Napoléon le Grand
rapidement du terrain. De nouvelles techniques se répandent: labourages profonds, assolements, chaulage, drainage; l'emploi des machines agricoles tend à se généraliser.
Une relative prospérité s'établit. Elle est d'autant mieux venue qu'au début du règne on subit encore — avec des conséquences sans doute moins dramatiques qu'autrefois — les effets de calamités, telles que la maladie de la pomme de terre, de la vigne, des vers à soie, sans parler des terribles inondations de la Saône et du Rhône.
Les chiffres attestent les progrès accomplis. Compris jusque-là dans une fourchette de 10 à 12 quintaux à l'hectare, le rendement en blé va atteindre sous le second Empire une fourchette de 15 à 18 quintaux; du coup, la récolte passe de 87 millions d'hectolitres en 1848 à 127 millions en 1869; sur la même période, la production de pommes de terre se hisse de 66 à 98 millions de quintaux, et celle de vin de 51 à 70 millions d'hectolitres.
Première conséquence heureuse pour l'ensemble de la population : la disparition définitive des disettes, la dernière s'étant produite en 1855. Pour le monde paysan, l'effet bénéfique concerne le revenu agricole qui commence par se stabiliser puis tend bientôt à s'accroître. Avant 1858, on a encore enregistré de mauvaises récoltes de céréales et de graves difficultés dans la viticulture. Mais, désormais, les hausses de prix agricoles vont compenser davantage les baisses de volume, car il n'y a plus comme autrefois un marasme industriel concomitant qui affectait aussi les ressources des consommateurs. Du coup, le paysan peut plus aisément étaler dans la durée les pertes des mauvaises années, et renforcer sa capacité de résistance.
Ainsi s'explique sans doute la fidélité que les masses paysannes témoignent à Louis Napoléon. Jusqu'à la fin, et même après, elles ont apprécié ses efforts en leur faveur, et pas seulement le climat de tranquillité qu'il avait su rétablir. Il n'y a donc rien d'étonnant dans le sentiment de nostalgie qu'elles éprouverontlongtemps pour un régime qui aura fait beaucoup pour l'amélioration de leur sort : en réduisant d'abord des à-coups vécus comme autant de drames, en assurant ensuite une progression certes lente mais continue de leur niveau de vie.
Pour être moins visibles, les évolutions structurelles sont elles aussi très révélatrices du mouvement de modernisation de l'agriculture française à cette époque : la part de la population active employée dans l'agriculture tombe de 61 p. 100 en 1851 à 54 p. 100 en 1870...
Qu'en est-il pour le monde ouvrier? A-t-il connu alors une amélioration parallèle de sa propre industrie?
Un premier indice conduirait à en douter : il est établi que les prix industriels ont monté relativement moins vite que les prix agricoles. Frappé comme consommateur par la hausse des denrées alimentaires, l'ouvrier risquait fort de n'en pas trouver la contrepartie dans l'évolution de sa rémunération. De fait, la plupart des études observent que, si le salaire moyen s'est accru de 45 p. 100 pendant le règne de Louis Napoléon, cette augmentation, globalement, n'a pas fait plus que compenser le phénomène de la hausse des prix.
Phénomène tout à fait nouveau: de 1815 à 1851, les prix étaient restés stationnaires, parfois même orientés à la baisse, leur stabilité se conjuguant avec la stagnation des salaires. Désormais, l'inflation est là. En vingt ans, que ce soit là la cause ou l'effet, la masse monétaire va doubler. C'est un mouvement de caractère mondial, lié à la baisse générale de l'or, elle-même causée par la découverte des mines australiennes et californiennes. Certains facteurs conjoncturels expliquent telles ou telles flambées soudaines : ainsi en est-il de la guerre de Sécession, qui force l'Europe à s'approvisionner en coton aux Indes, où l'argent seul est reçu, d'où une nouvelle baisse de l'or.
Le mouvement, en tout cas, n'est pas continu. Se succèdent les escalades et les dégringolades. Ainsi, après les hausses très fortes en 1850 et 1857, qui ont porté l'indice des prix industriels à 140, on se retrouve à 115 en 1863. De même, après avoir atteint en 1864, en pleine guerre civile américaine, un sommet historique à 172, l'indice n'est plus que de 140 en 1870.
Inégale sur l'ensemble de la période, l'inflation ne frappe pas uniformément les diverses composantes de la classe ouvrière. Pour une grande
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