Louis Napoléon le Grand
et dangereuse fourberie [...]; en présentant une loi sur les coalitions, il voulait de bonne foi assurer aux ouvriers la liberté de leur travail; il obéissait à la même inspiration de coeur qui lui avait suggéré déjà tant de mesures favorables au peuple, objet constant de ses sollicitudes affectueuses. »
Ollivier avait compris la méthode de l'empereur, et avait fini par y adhérer. Face aux tenants du « tout ou rien », il acceptait l'idée que les choses devaient se faire « un petit peu chaque jour ». La suite des événements n'allait pas lui donner tort.
Le droit de réunion, en effet, devait être voté peu après. Droit général certes, mais dont les ouvriers devaient être les premiers bénéficiaires. Par ailleurs, à défaut d'être légalement reconnus, les syndicats firent l'objet en 1868 d'un « édit de tolérance ». Liberté était désormais laissée aux ouvriers de créer des chambres syndicales. Dans une lettre citée par William Smith, Varlin, qui sera l'un des chefs communards, décrivait à son ami Albert Richard la situation nouvelle à laquelle on avait ainsi abouti: « Quant à la situation légale, elle est bien simple [...] toutes nos sociétés sont en dehors de la Loi. Elles n'existent que par la tolérance administrative. Mais cette tolérance est tellement passée à l'état d'habitude, tellement ancrée dans les moeurs qu'il serait impossible à l'administration de revenir là-dessus. »
Louis Napoléon ne s'en tient pas là. Il fait encore disparaître du Code civil le fâcheusement célèbre article 1781, en vertu duquel, devant un tribunal, la déclaration du patron — même sans preuve — l'emportait par principe sur celle de son ouvrier ou de son domestique, dès qu'il s'agissait de la quotité des gages, du paiement du salaire de l'année précédente ou des acomptes donnés sur l'année suivante. La portée de cette décision dépassait largement ses simples effets pratiques : désormais il était clair — et solennellement proclamé — que patrons et employés étaient placés, enfin, sur un pied d'égalité. D'autres textes importants méritent encore d'être signalés: celui du 22 février 1851, qui régularise le contrat d'apprentissage, diminue les heures de travail et règle l'autorité du patron; celui du 29 décembre de la même année, relatif à la suspension du travail les dimanches et jours fériés; la loi du 1 er juin 1853, enfin, qui organise les conseils des prud'hommes.
Ainsi, quelles que fussent les difficultés, les rebuffades et les vicissitudes politiques, l'intérêt de Louis Napoléon pour la classe ouvrière ne se démentit jamais. Son dernier secrétaire, qui l'assistait à Chislehurst, nous rapporte que, dans les tout derniers temps de sa vie, il travaillait encore à un projet de régime général de retraite qui aurait permis à chaque ouvrier de bénéficier d'une pension minimale à partir de soixante-cinq ans. Cette anecdote en dit long, nous montrant comment Louis Napoléon s'impliqua totalement dans son travail, mit sans cesse la main à la pâte, et ne laissa à personne le soin de concevoir, d'élaborer et même de rédiger les projets qui lui tenaient vraiment à coeur.
Il eut à cela d'autant plus de mérite que, faut-il le répéter encore, il ne trouva que fort peu d'alliés parmi les chefs d'entreprise. Le patronat de l'époque ne chercha jamais à comprendre l'intérêt de ses conceptions et aurait volontiers fait sienne cette appréciation désabusée du marquis de Circourt à un ami anglais: « Il a l'ingénuité perverse d'un fou et l'assurance d'un fataliste. » Il est vrai que souvent, à l'occasion de conflits entre patrons et ouvriers, l'administration était intervenue dans un sens qui était loin d'être défavorable à ceux-ci. N'aurait-on pu attendre de la part de ceux-là un peu plus de compréhension?
Reste à savoir si la classe ouvrière sut gré à l'empereur de ses efforts. La réponse à cette question en appelle d'autres. Louis Napoléon pensa-t-il un moment s'attirer l'ensemble du mouvement ouvrier et réaliser un front dont certains, en mai-juin 1848, avaient rêvé? C'est peu probable. Certes — et parfois non sans raison —, on a cru discerner la pression du pouvoir dans la constitution de tel ou tel mouvement ouvrier : on a parlé ainsi d'un « groupe du Palais-Royal », qui aurait été inspiré par Napoléon Jérôme. Les républicains ont eux-mêmes accrédité l'existence d'un danger
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