Louis Napoléon le Grand
timoré?
Haussmann travaille directement avec Louis Napoléon. Sa volonté de ne dépendre que de lui et de n'en référer qu'à lui rejoint le souci de l'empereur d'avoir prise constamment sur le dossier. C'est un ministre sans titre, encore qu'il eût aimé en avoir un, ne serait-ce que pour faciliter ses rapports — toujours orageux — avec le ministère de l'Intérieur.
Il sait remarquablement s'entourer: l'hydrologue Bertrand et l'ingénieur Alphand émergent du groupe d'architectes et de spécialistes qui constituent autour de lui un véritable état-major de guerre, avec lequel il mène son entreprise comme une action de commando, sans trop regarder sur les méthodes. Du moins est-il honnête : contrairement aux accusations qui ont été portées contre lui, son orgueil paraît assez grand pour l'avoir empêché de céder aux innombrables tentations dont il a dû faire l'objet.
Non sans mérite, Louis Napoléon le soutiendra contre vents et marées, pratiquement jusqu'au bout. Aller vite, comme le faisait son homme de confiance, n'était-ce pas pour lui la meilleure façon de frapper les esprits en prouvant l'efficacité du régime? Il ne le sacrifiera finalement que sur l'autel de la politique. Mais l'essentiel de l'oeuvre aura alors été accompli.
Tout cela allait coûter cher, très cher. Selon Haussmann lui-même, entre 1851 et 1869, la dépense totale se serait élevée à quelque 2 milliards et demi de francs-or. Ce n'était qu'un début. On sut cependant trouver des méthodes de financement originales.
Louis Napoléon ne souhaitait pas que l'on accrût la charge fiscale pesant sur les Parisiens. L'octroi était déjà assez lourd; d'ailleurs, la progression de la population et des échanges avait augmenté son produit de manière significative. Il fut donc entendu que l'essentiel du financement proviendrait d'emprunts à long terme contractés par la ville et gagés par l'excédent de ses recettessur ses dépenses, la perspective de la revente d'une partie des terrains expropriés paraissant à cet égard prometteuse.
Il fallut pourtant recourir aux subventions de l'État, et beaucoup plus souvent qu'on ne l'avait initialement prévu. Qu'il s'agisse de subventions ou d'emprunts, Louis Napoléon et Haussmann se trouvaient dépendre du bon vouloir du Corps législatif, qui avait à voter les unes et à autoriser les autres. Ce bon vouloir fit souvent défaut, des députés de province estimant qu'on dépensait trop pour la capitale. Bien avant l'Opéra Bastille, l'Opéra Garnier fut ainsi considéré par eux comme le summum du luxe et le symbole de l'inutile.
A vrai dire, la vue du pactole constitué par les salaires distribués, les profits réalisés et les indemnités d'expropriation encaissées pouvait faire naître un sentiment de convoitise.
De ce fait, Louis Napoléon et Haussmann en furent parfois réduits à utiliser des moyens détournés, parfois même de fort médiocres expédients: par exemple, la vente à des promoteurs d'une parcelle au sud du jardin du Luxembourg.
Il y eut plus grave. En 1858, un décret portait création de la Caisse des travaux de Paris, organisme qui pouvait émettre, en les gageant sur les terrains achetés puis revendus par la Ville, l'équivalent de bons du Trésor, ce qu'il fit sans aucune retenue. Plus tard, par le biais de « bons de délégation », Haussmann alla jusqu'à contracter des emprunts sans autorisation législative en passant par le truchement des banques, ou même, de façon plus contestable encore, par celui des compagnies concessionnaires des travaux. On imagine sans peine les réactions que pouvait provoquer le recours à de telles méthodes.
En 1865, le ministre des Finances écrivait à Louis Napoléon que « la Ville n'a pas de budget, parce qu'on ne connaît de manière exacte ni ses ressources, ni ses besoins ». Léon Say, propriétaire des Débats, et proche des Rothschild, n'allait pas tarder à présenter ses fort sérieuses Observations sur le système financier de M. le Préfet de la Seine, avant que ne soit publiée la brochure de Jules Ferry sur les Comptes fantastiques d'Haussmann.
Il n'empêche que tout cela servait une bonne et belle cause, pour difficile qu'elle soit. Près de vingt années durant, Paris va être transformée en un gigantesque chantier. On y circule partout au milieu des gravats, des entassements de matériaux, des terrassementset des échafaudages. Une caricature fameuse met en scène des touristes
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