Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Louis Napoléon le Grand

Louis Napoléon le Grand

Titel: Louis Napoléon le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Séguin
Vom Netzwerk:
l'exil, qui ouvre une chance et expose à un risque.
    La chance, c'est l'amour sincère que vouent à leur sol natal tous ceux que le destin en a éloignés. Là où ils se trouvent, la patrie est le premier élément de leur identité; leur caractéristique essentielle aux yeux des autres et à leurs propres yeux. L'éloignement permet aussi, paradoxalement, de mieux apprécier la place et le rôle de sa patrie en tant que puissance, donc de mieux la connaître.
    Le risque, c'est évidemment de perdre le sens des réalités et d'entretenir des illusions sur la capacité d'écoute et de mobilisation du pays dont on est éloigné.
    Lors de sa visite à Arenenberg, Alexandre Dumas avait très loyalement et très courageusement mis en garde la reine Hortense contre ce danger:
    « Prenez garde de vous égarer, Madame, j'ai bien peur que vous ne viviez dans cette atmosphère trompeuse et enivrante qu'emportent avec eux les exilés. Le temps qui continue de marcher pour le reste du monde, semble s'arrêter pour les proscrits. Ils voient toujours les hommes et les choses comme ils les ont quittés et cependant les hommes changent de face et les choses d'aspect.
    « La génération qui a vu passer Napoléon revenant de l'île d'Elbe s'éteint tous les jours, Madame, et cette marche miraculeuse n'est déjà plus un souvenir: c'est un fait historique. »
    Sans doute Louis Napoléon s'illusionne-t-il quelque peu sur l'état réel de l'opinion. Marqué par le souvenir des manifestations bonapartistes autour de la colonne Vendôme, il peut aussi se laisser impressionner par ce qu'il sait du renouveau de ferveur qu'inspire alors en France la mémoire de l'empereur.
    Mais entre le culte du martyr de Sainte-Hélène et l'adhésion éventuelle à la cause du neveu, il y a un abîme. Louis-Philippe le sait et, même s'il existe une part de sincérité dans les sentiments qu'il affiche, sa pensée consiste sans doute à admettre qu'il vaut toujours mieux organiser soi-même ce qu'on ne peut empêcher et que cette « napoléomania » est peut-être bien le meilleur des remparts contre les assauts des bonapartistes.
    D'ailleurs, plus Napoléon — mort — sera grand, plus paraîtront petits les épigones.
    La foule peut donc bien se presser dans les théâtres ou devant le diorama de 1831, s'arracher les médailles commémoratives, se précipiter sur les oeuvres d'Edgar Quinet se pâmer à la lecture des poèmes de Béranger (« Il n'est pas mort, il n'est pas mort. De son sommeil le géant va sortir, plus grand à son réveil »), cela ne veut nullement dire qu'à la seule vue d'un prétendant — au demeurant inconnu — le peuple est prêt à se lever...
    Quoi qu'il en soit, à la veille de la première tentative de Louis Napoléon pour arracher le flambeau des mains de l'usurpateur, les buts ont été clairement définis et la méthode, par avance, justifiée: dès lors que le suffrage universel n'est pas ou n'est plus pris en compte, tous les coups, sans exception, sont permis. Il y a alors dissociation entre la légalité et la légitimité: toute initiative est louable, sous la réserve absolue qu'elle ait pour objectif de rendre la parole au peuple et d'accepter par avance son verdict.
    C'est un principe de base qu'il faut garder présent à l'esprit pour comprendre non seulement les coups de Strasbourg et de Boulogne, mais aussi le coup d'État lui-même. Toute considération — respect de la loi, respect de la parole donnée — doit céder devant cet axiome...
    A l'inverse, si un autre régime que celui qu'on se propose d'établir accepte ou organise le suffrage universel, alors il faut se plier à ses règles et jouer le jeu — c'est ce que Louis Napoléon fera sous la II e République, face à la décision des républicains de rendre la parole au peuple.
    ***

    Le coup de Strasbourg est l'opération la plus raisonnée qu'ait tentée Louis Napoléon. Il avait été remarquablement préparé. Et, même s'il ne pouvait déboucher que sur un échec politique, en raison de l'état de l'opinion à l'époque, il aurait pu connaître de plus amples développements sans les fâcheux concours de circonstances auxquels il donna lieu.
    Le choix de la capitale alsacienne n'était pas mauvais: il y avait de l'argent, des armes, des hommes. Le colonel de l'un des régiments était acquis à la cause; on avait des fonds suffisants pour susciter et maintenir tout le temps nécessaire l'enthousiasme de la foule; Louis Napoléon était venu

Weitere Kostenlose Bücher