Louis Napoléon le Grand
lui-même reconnaître le terrain et prêcher la bonne parole à des officiers de la place. C'était du bon travail.
Évidemment, une fois Strasbourg acquise, il fallait se résoudre à l'improvisation. Mais, fort du glorieux précédent des Cent-Jours, on se disait qu'en gagnant Nancy puis en prenant la route de Paris, non seulement on ne rencontrerait guère de résistance, mais on pourrait faire des adeptes en chemin. Il n'en faudrait pas plus pour que le neveu de l'Aigle se retrouvât niché dans le clocher de Notre-Dame.
Inutile d'insister sur certains aspects de l'affaire, qui l'apparentent à un fort mauvais vaudeville. Persigny et Parquin, époux de l'ex-Mlle Cochelet, lectrice de la reine Hortense, sont pleins de bonne volonté, mais peu aptes à conduire une affaire qui demande beaucoup d'esprit de décision, mais davantage encore de subtilité. Quant à la manière dont a été circonvenu le colonel Vaudrey, qui commande le 4 e régiment d'artillerie, elle n'a rien de bien glorieux. On lui a fait miroiter un avancement auquel il ne croyait plus guère et, pour faire bonne mesure, on s'est arrangé pour le prendre dans les filets d'une charmante veuve, actrice à ses heures, escrimeuse, fille du capitaine Brault de Colmar, Éléonore Gordon, qui est toute dévouée au prince.
Certes, il faut ce qu'il faut. Mais, peut-être aurait-on dû méditer davantage le refus d'Exelmans, approché pour la circonstance, qui tint à peu près ce discours: « Vous pourrez [...] dire [au prince] que, s'il croit avoir un parti en France, il se trompe... Nous avons en vénération la mémoire de l'Empereur, voilà tout, et ce serait folie que de songer à renverser le Gouvernement actuel. »
Pourtant, dès le 25 octobre 1836, Louis Napoléon quitte Arenenberg sous prétexte d'une partie de chasse. Le 29 il est à Strasbourg. Et le lendemain à 6 heures, le régiment de Vaudrey est rassemblé pour acclamer le prince qui va trouver les mots adaptés à la circonstance. Le ton de son appel est à la hauteur de l'événement: «Au siège de Toulon, le grand Napoléon était capitaine du 4 e d'Artillerie. C'est encore le 4 e qui lui a ouvert les portes de Grenoble, lors du retour de l'île d'Elbe... »On devine la suite du propos... Tout démarre donc très bien. Mais, à partir de ce moment précis, tout va tourner très mal.
Les mutins, qui ont arrêté le préfet, arrêtent aussi le général qui commande la place et qui, malgré arguments et menaces, a fait connaître qu'il remplirait son devoir. On croit l'avoir placé sous bonne garde... Mais il réussit à filer, à retrouver quelques officiers,et à reprendre la préfecture avec l'aide d'un régiment fidèle...
Et tout ce beau monde se retrouve à la caserne Finkmatt pour se disputer le 16 e de ligne. L'échauffourée s'achève dans la bousculade et la confusion. Louis Napoléon et ses amis sont appréhendés.
Bizarrement, c'est au moment où tout est fini que Paris commence à s'inquiéter. Il est vrai que, si le déclenchement de l'affaire a été aussitôt annoncé par télégraphe, on met deux jours pour en faire connaître le dénouement. Après la frayeur, c'est l'embarras qui prévaut: que va-t-on bien pouvoir faire de Louis Napoléon et des autres insurgés?
Si l'on s'en tenait au droit et à la tradition, la sanction d'une mutinerie aussi caractérisée ne ferait guère de doute: on passerait tout le monde par les armes. Mais Louis-Philippe va en décider autrement, sans qu'il soit aisé ici de démêler ce qui relève de son indulgence naturelle et ce que lui inspire son sens politique. Il est probable qu'il ne se sent pas le coeur de châtier un homme dont il doit bien comprendre, d'expérience, l'état d'esprit. Il est non moins probable qu'il pense n'avoir aucun intérêt à faire de Louis Napoléon un martyr: ce serait un renfort inestimable à une cause dont tout lui indique qu'en agissant avec prudence il peut la maintenir sous le boisseau. Sa décision est prise. Il faut présenter tout cela comme une simple gaminerie. Outre le bénéfice moral, la mansuétude dont il fera preuve accroîtra le ridicule dans lequel il espère bien que le prince achèvera de sombrer. Et c'est un fait que Louis Napoléon est d'autant plus humilié qu'il est bien traité.
Après une semaine d'interrogatoires, on l'embarque pour l'Amérique. Un circuit de cinq mois, passant par Rio de Janeiro, le conduira jusqu'à New York. Il y restera — sans manifester
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