Louis Napoléon le Grand
formellement interdite. Et si un jour un groupe — un rassemblement ? — devait se constituer, il ne serait en aucun cas un parti comme les autres. Comment donc ne pas discerner, déjà, de multiples correspondances entre la pensée de Louis Napoléon et celle de Charles de Gaulle?
La théorie de la légitimité, les dangers du système des partis, la nécessité de dépasser, au nom de l'intérêt national, leurs jeux et oppositions factices, tout cela est d'une évidente similitude.
Pour l'un comme pour l'autre, il faut un chef d'État qui en soit un, qui incarne l'autorité de l'État, et qui dispose de la maîtrise du pouvoir exécutif. Afin de fonder cette autorité sur une base démocratique, le chef de l'État doit être élu par le peuple et ne peut être privé du droit de s'adresser à lui comme il l'entend. Se crée alors un lien particulier, personnel, essentiel, entre le peuple et celui qu'il a choisi pour le guider, lien qui s'appelle la légitimité. Dans cet esprit, le plébiscite, pour l'un, le référendum, pour l'autre, servent à renouveler l'investiture populaire du chef del'État: chaque fois que la confiance du suffrage universel semble ébranlée du fait des circonstances, ce renouvellement permet d'éviter une crise politique ou de prendre en compte le caractère exceptionnel de l'enjeu auquel le pays peut se trouver confronté.
Comme l'écrit Francis Choisel dans sa remarquable étude sur Bonapartisme et Gaullisme: « Le plébiscite bonapartiste et le référendum gaulliste sont par conséquent un tout, où la réponse à la stricte question posée intègre l'acte d'adhésion à l'homme qui la formule et au régime que ce dernier incarne, la ratification de son action passée et la confiance en ce qu'il fera demain. »
Pour Louis Napoléon comme pour de Gaulle, le peuple est le juge suprême et, plus encore, la source de tout pouvoir. C'est une idée que les deux hommes expriment avec les mêmes mots.
Louis Napoléon proclame dans le préambule de la Constitution de 1852 que « [...] le peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté. » Et comme en écho de Gaulle répond: « C'est un principe de base de la V e République et de ma propre doctrine que le peuple français doit trancher lui-même ce qui est essentiel à son destin. »
Et d'ajouter: « Il fallait que le peuple eût à s'associer directement, par voie de référendum, aux décisions capitales qui engageraient son destin. »
Cette voie, en tout cas, n'est pas si facile à emprunter et à suivre. Se dresse sur la route, on l'a vu, un obstacle majeur: les partis, avec les divisions qu'ils impliquent. Louis Napoléon et de Gaulle, là encore, trouvent les mêmes accents pour les dénoncer et les combattre, l'un dans ses Rêveries politiques, l'autre dans ses Mémoires de guerre:
« Au-dessus des convictions partielles, écrit Louis Napoléon, il y a un juge suprême qui est le peuple. C'est à lui de décider de son sort, c'est à lui de mettre d'accord tous les partis, à empêcher la guerre civile et à proclamer hautement et librement sa volonté suprême. Voilà le point où doivent se rencontrer tous les bons Français, de quelque parti qu'ils soient, tous ceux qui veulent le bonheur de la patrie, non le triomphe de leur doctrine. »
Évoquant les oppositions qu'il a rencontrées, de Gaulle ne dit pas autre chose: « La perspective d'un appel à la décision directe du pays paraissait à toutes les fractions politiques scandaleuse. Rien ne montrait plus clairement à quelles déformations du sensdémocratique menait l'esprit des partis. Pour eux, la République devait être leur propriété, et le peuple n'existait, en tant que souverain, que pour déléguer ses droits et jusqu'à son libre arbitre aux hommes qu'ils lui désignaient. »
Rien d'étonnant donc à relever maintes analogies dans la pratique institutionnelle des deux hommes: même propension à reconnaître la supériorité du référendum, du plébiscite ou de l'élection présidentielle sur l'élection législative, même impatience devant les tentatives d'immixtion des Chambres dans la conduite des affaires, tentatives qui ne peuvent à leurs yeux qu'entraver l'action du gouvernement...
Et Francis Choisel peut ainsi conclure: « Il y a par conséquent entre le gaullisme et le bonapartisme une double identité en matière constitutionnelle: d'une part la communauté de sentiment quant aux grandes
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