Louis Napoléon le Grand
au Progrès du Pas-de-Calais, au Guetteur de Saint-Quentin, au Journal du Loiret, au Journal du Maine-et-Loire. Aucune publication n'est trop modeste quand il s'agit de propager ses idées, dans le domaine militaire,par exemple. C'est par cette obscure voie qu'il fait connaître sa conception d'une armée d'un million et demi d'hommes, qui comprendrait un corps professionnel représentant le cinquième de l'effectif, et, en réserve, outre la garde nationale, un contingent constitué sur la base d'un service de quatre ans.
Mais les années de Ham, d'abord et surtout, lui ont fourni l'occasion de préciser et de fortifier ses idées économiques et sociales, et de définir en ces domaines une ligne de conduite dont il ne se départira jamais.
Cela fait longtemps qu'il a reconnu et célébré l'importance, voire le primat, de l'économie. Déjà, dans les Idées napoléoniennes, il annonce que « le temps des conquêtes est passé et ne peut revenir» et que « l'on entrevoit, à travers la gloire des armes, une gloire civile plus grande et plus durable ». Et quand il proclame fièrement que son oncle fut« César » et que lui veut être « Auguste », il ne dit pas autre chose.
Reste à déterminer les objectifs au service desquels doit être mis le développement économique.
C'est dans ce contexte que se situe, en 1844, la rédaction du livre qui est probablement son oeuvre majeure, et qui, en tout cas, exprime le mieux sa pensée, l'Extinction du paupérisme.
L'intérêt manifeste de Louis Napoléon pour la classe ouvrière — intérêt original et même à proprement parler scandaleux dans le contexte de l'époque — trouve son origine aussi bien dans une inclination de caractère personnel et sentimental que dans une sorte d'intuition historique.
Son inclination, par certains côtés, s'apparente à de la commisération: il a été touché par les difficultés sans nombre qu'éprouve le monde du travail, et par ses conditions de vie qui lui paraissent intolérables. Mais, toute compassion mise à part, il éprouve aussi une évidente sympathie pour le petit peuple des ouvriers et artisans, dont il sait que, par deux fois — en 1814 et 1815 —, ils ont voulu défendre Paris, alors que tant de dignitaires et de bourgeois — sa mère la première — ne songeaient qu'à composer... Quant à son intuition, elle consiste à pressentir la force politique que va représenter un tel groupe, et la menace qu'il pourrait faire peser sur l'avenir national si l'on refusait de prendre en compte ses intérêts. Bref, Louis Napoléon est aussi sensible au rôle nouveau que va jouer la classe ouvrière qu'il est touché par la misère dans laquelle on la tient.
Encore faut-il aller plus loin, construire une théorie et définir une politique.
Pour cela, il a beaucoup lu: d'abord, et depuis longtemps, Saint-Simon, le comte et non le duc... C'est Narcisse Vieillard qui le lui a fait découvrir; mieux encore, qui lui en a facilité l'accès et l'a initié à sa compréhension.
« Jusqu'à présent, lui écrit Louis Napoléon, toutes les fois que j'ai entrepris une discussion saint-simonienne, j'ai parlé de votre doctrine comme un aveugle de couleurs... »
Il n'est plus aveugle, Saint-Simon et son disciple lui ont dessillé les yeux.
Encore possède-t-il assez de sens critique pour ne retenir de la « révélation » que ce qui pourra éclairer son action future. Il élimine donc le superflu et reste étranger à tout ce qui fait du saint-simonisme une sorte de religion, l'ébauche d'un système totalitaire, un quasi-intégrisme.
Ce qu'il en retient, c'est un certain idéalisme humanitaire et l'affirmation que les préoccupations économiques et sociales doivent tenir désormais un rang prioritaire dans le gouvernement des hommes. Et cela répond bien à sa propre conviction : « La France est un vaste pays, puissant, plein de ressources et de richesses, mais sordidement géré. » Il y a là un défi qu'il est d'autant plus décidé à relever que, pense-t-il, l'influence de la France sera proportionnelle à son rôle économique et à sa capacité de préserver un équilibre social.
Saint-Simon a été le tout premier à évoquer « l'exploitation de l'homme par l'homme ». Louis Napoléon est persuadé, avec lui, que la façon la plus efficace de lutter contre le paupérisme, c'est l'industrialisation et l'équipement économique. Mais, comme lui, il ne croit tout de même pas possible d'obtenir
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