Louis Napoléon le Grand
l'amélioration de la condition ouvrière par le seul accroissement de la prospérité générale. Il faut davantage pour atteindre le «grand but de l'amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre ».
Louis Napoléon estimera donc — et de plus en plus, au fur et à mesure qu'il sera confronté aux réalités — que des dispositions spécifiques s'imposent et que le progrès social ne saurait résulter seulement du progrès économique. Il creuse ainsi l'idée d'une association du capital et du travail, se plaçant du même coup dans la lignée de ce socialisme évolutif et national, parfois quelque peu anarchiste, des premiers théoriciens français.
Entre Marx et lui, le divorce est donc total. Comme l'a écrit excellemment le général Georges Spillmann, « dès le début, Marx tient pour dangereuses et radicalement fausses les vues de Louis Napoléon, qu'il qualifie d'enfantines, d'utopiques, de nuageuses. Ce prince qui prétendait réconcilier les abeilles prolétariennes et les frelons capitalistes ne lui disait rien qui vaille ».
Aversion largement partagée au demeurant.
« Louis Napoléon n'éprouve aucune sympathie pour Marx. L'antisémitisme outrancier de ce juif converti, petit-fils de rabbin, le choque profondément et il tient son "Pamphlet sur la question juive", écrit et publié à Paris en 1844, pour une mauvaise action. Bref, il y a entre les deux hommes antinomie complète. Plus tard, Marx reprochera d'ailleurs à Napoléon III ses excellentes relations avec les grands capitalistes juifs, tels les Rothschild, les Pereire, les Fould. »
Au fort de Ham, Louis Napoléon n'a pas restreint le champ de ses lectures. Il a lu Adam Smith et Jean-Baptiste Say. Il a découvert l'Organisation du travail de Louis Blanc et consulté régulièrement les livraisons de l'Atelier, qui était alors l'organe de l'élite ouvrière. C'est dire, si l'on considère qu'il a étudié aussi Pierre Joseph Proudhon, le père Enfantin, Victor Considérant et Pierre Leroux, qu'il n'y a pas un auteur, pas une analyse, pas une proposition économique ou sociale de l'époque qui ait échappé à son attention et dont il n'ait pris la mesure.
Le résultat, ce sera donc l'Extinction du paupérisme. On a souvent dit que ce livre valait moins par son contenu que par son titre, en forme de slogan, et que l'important, c'est qu'il ait été écrit, non qu'il ait été lu.
Ce n'est sans doute pas tout à fait inexact.
Pourtant, l'ouvrage ne vaut pas que par l'intention et la détermination qu'il exprime. Si certaines de ses propositions peuvent prêter à discussion et sembler carrément irréalistes, beaucoup de ses analyses ne peuvent manquer d'impressionner encore par leur exactitude et leur modernité.
Réduit à l'essentiel, le projet du livre ressemble à une véritable proclamation: «La classe ouvrière n'est rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n'a de richesse que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d'ilotes au milieu d'un peuple de sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux dusol. Enfin, elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir: il faut lui donner des droits et un avenir et la relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la discipline. »
Comment s'étonner, dès lors, de ce que sera la politique sociale de Louis Napoléon? Comment s'étonner aussi de l'attraction qu'un tel discours exercera, un jour ou l'autre, sur une partie non négligeable de la classe ouvrière? Comment s'étonner enfin de l'ampleur des suffrages populaires qui se porteront sur lui, lors de sa candidature à la magistrature suprême?
Pourtant il ne s'agit pas de simples rêveries ou d'un catalogue de bonnes intentions. Louis Napoléon, quoi qu'on en ait dit, sait être réaliste et ne se paye pas de mots. Qu'on en juge: «Les Caisses d'Épargne sont utiles sans doute pour la classe aisée des ouvriers, mais pour la classe la plus nombreuse, qui n'a aucun moyen de faire des économies, ce système est complètement insuffisant. Vouloir, en effet, soulager la misère des hommes qui n'ont pas de quoi vivre en leur proposant de mettre tous les ans de côté un quelque chose qu'ils n'ont pas est une dérision ou une absurdité... »
De même, il y a tout lieu d'être frappé par la qualité de son analyse de la question fiscale, à la faveur de laquelle, dans des
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