Louis Napoléon le Grand
téléspectateurs en 1968? « Il faut que le peuple français soit prospère. Il le faut parce que, s'il n'est pas prospère, la France [...] ne pourrait pas jouer son rôle dans le monde d'aujourd'hui. »
Et Louis Napoléon lui a donné son accord par avance, le 31 août 1849, lorsqu'il déclare au cours du banquet de clôture d'une exposition: « Aujourd'hui, c'est par le perfectionnement de l'industrie, par les conquêtes du commerce, qu'il faut lutter avec le monde entier. »
Et quand de Gaulle renchérit en soulignant que « le but de l'effort pour la prospérité n'est pas tant de rendre la vie commode à tels ou tels Français que de bâtir l'aisance, la puissance et la grandeur de la France », Louis Napoléon l'a anticipé en évoquant « le travailleur des villes qui, par l'industrie et le commerce, contribue à la gloire et à la prospérité du pays ».
L'économie, ils la conçoivent l'un et l'autre comme un système mixte, empruntant le meilleur du socialisme et du libéralisme, et dans lequel, par définition, le progrès économique et le progrès social sont des objectifs indissolublement liés. L'État est certes un animateur et un garant, mais il ne saurait pour autant se substituer aux entreprises. C'est Louis Napoléon qui, au cours de la campagne présidentielle de 1848, présente cette vision des choses dont l'actualité est évidente et la vérité sans doute démontrée.
Il faut, précise-t-il - et qui aujourd'hui lui donnerait tort? —, «éviter cette tendance funeste qui entraîne l'État à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui ».
A partir de là, les deux hommes suivent un même chemin. Ilsparviennent à se dégager d'un certain nombre de tabous, tels que le droit de propriété, pour aborder hardiment le problème de la modification nécessaire des rapports sociaux. Et leur sentiment s'exprime dans des termes pratiquement identiques:
Louis Napoléon, dans les Idées napoléoniennes, souligne que « l'esprit de propriété est par lui-même envahissant et exclusif. La Révolution affranchit la terre. La propriété du sol avait eu ses vassaux et ses serfs. Mais la nouvelle propriété de l'industrie, s'agrandissant journellement, tendait à passer par les mêmes phases que la première et à avoir comme elle ses vassaux et ses serfs ».
Or que nous dit de Gaulle, en juin 1968?
« La propriété, la direction, le bénéfice des entreprises dans le système capitaliste n'appartiennent qu'au capital. Alors, ceux qui ne le possèdent pas se trouvent dans une sorte d'état d'aliénation, à l'intérieur même de l'activité à laquelle ils contribuent. Non, le capitalisme, du point de vue de l'homme, n'offre pas de solution satisfaisante. »
Dès lors, les voilà unis pour prôner la véritable révolution sociale que constituerait l'association capital-travail. Une fois de plus, leurs propos se rejoignent:
« La lutte entre le capital et le travail produit des effets déplorables pour tout le monde », déclare Louis Napoléon le 23 juillet 1867.
«Faudra-t-il donc que nous demeurions dans cet état de malaise ruineux et exaspérant où les hommes qui travaillent ensemble à la même tâche opposent organiquement leurs intérêts et leurs sentiments? » lui répond de Gaulle en 1947.
« On est donc, conclut Choisel, en présence d'un syncrétisme économique et social que l'on peut, pour en terminer, résumer ainsi: libéralisme à l'intérieur, libre-échangisme à l'extérieur, tempérés par une forte dose de dirigisme et de nationalisme économique; anticapitalisme, sympathie pour l'autogestion dans les grands ensembles économiques et attachement à la propriété individuelle des moyens de production dans les petites unités; humanisme corrigé d'une touche d'industrialisme. »
Tout cela est très neuf, et l'on conçoit que les idées économiques et sociales de Louis Napoléon aient étonné et détonné.
Marx en convenait, même s'il donnait de l'originalité du propos une explication réductrice: « Pressé par les exigencescontradictoires de sa situation, se trouvant comme un escamoteur dans la nécessité de tenir fixés sur lui par une surprise continuelle les yeux des spectateurs pour leur faire croire qu'il était bien le remplaçant de Napoléon, obligé, par conséquent, de faire tous les jours un coup d'État "en miniature", Bonaparte met toute l'économie de la société bourgeoise sens dessus dessous, touche
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