Louis Napoléon le Grand
peccadille.
Il est vrai que le 10 juillet 1940 a les formes et les apparences de la légalité. Ceux qui condamnent le régime de Vichy et sa politique ne s'en prennent guère à ses origines dont la pureté est peu contestée. On a fait l'éloge des parlementaires qui n'ont pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, on vante leur courage ou leur capacité d'anticipation, mais on ne remet pas pour autant en cause, généralement, la régularité formelle du vote qui s'est exprimé.
De même joue sans doute en faveur du 18 Brumaire la bonne idée qu'ont eue ses auteurs de trouver quelques élus acceptant d'avaliser le coup de force de Bonaparte. Non seulement le Consulat put sans problème se substituer à un régime dont l'origine était d'ailleurs elle-même juridiquement douteuse, mais le fait que les formes avaient été sauves a été retenu à décharge par l'Histoire...
On ne trouve aucune excuse de ce genre pour Louis Napoléon.
Et pourtant, comment ne pas voir que la réalité est pour le moins beaucoup plus complexe?
Sous les apparences, il existe quatre faits majeurs, incontournables : le coup d'État — quels qu'en soient le ou les responsables — apparaissait depuis longtemps comme la seule issue à un blocage constitutionnel et politique, que seul Louis Napoléon avait cherché les moyens légaux d'éviter; le coup d'État a été accompli au nom du rétablissement du suffrage universel, ce qui lui confère, pour le moins, une certaine originalité ; le coup d'État a été ratifié par une immense majorité des Français; peu d'auteurs de coups d'Etat se sont conduits, vis-à-vis de leurs opposants, avec autant d'humanité, voire de complaisance, que le fit Louis Napoléon.
Mais la postérité sait être encore plus têtue que les faits qu'elle élude.
On l'a dit : injuste, partial, abusivement violent, Victor Hugo eut un trait de génie meurtrier en trouvant pour son livre accusatoire un titre qui exclut au départ et pour longtemps toute indulgence: Histoire d'un crime. Au point, on l'a vu, que Karl Marx, même si telle n'était certes pas son intention, semblerait plutôt, à force de vouloir humilier Louis Napoléon et expliquer ses actes par le déterminisme des choses, lui offrir de larges circonstances atténuantes.
A tout le moins, quel que soit le jugement infligé à l'initiative de Louis Napoléon, qu'on se débarrasse de cette légende d'une brave petite République, humaniste, sociale et démocratique, abattue par un vilain conspirateur; qu'on torde enfin le cou à cette fiction qui voudrait que la République de février 1848 soit tombée sous les coups de Louis Napoléon.
C'est là un mensonge éhonté, une imposture flagrante.
Au petit matin du 2 décembre 1851, avant que tout commence, la République de Février est morte depuis longtemps, assassinée lâchement par ceux-là même que Louis Napoléon va quelque peu rudoyer... Au reste, est-il permis d'observer, à l'intention des juristes, qu'après le 2 décembre la République va continuer ? Et que rien, vraiment rien, ne permet d'affirmer qu'elle est pire que la précédente ! Et que si certains de ceux qui ont vécu loyalement et sincèrement l'illusion lyrique des premiersmois de 1848 figurent parfois dans le rang des vaincus, c'est qu'ils ont eu la chance d'échapper à la répression qui s'est exercée après les journées de juin 1848, répression dont sont responsables d'autres hommes... ayant feint en février de partager la même illusion...
Persigny, qui n'est point sot et a quelque intuition, a, comme beaucoup d'autres, pressenti dès l'origine que tout cela ne pourrait se terminer que par une épreuve de force. Il en a conclu qu'il conviendrait d'aborder cette épreuve dans les meilleures conditions possibles aux yeux de l'opinion et au regard de l'Histoire. Le conseil qu'il donnait au prince était, avant de prendre tout engagement ou de prêter quelque serment que ce fût, de demander la ratification de la Constitution par le peuple. Il ne faisait d'ailleurs que reprendre une proposition de Victor Hugo, lequel avait déposé en son temps un amendement tendant à subordonner la promulgation à un plébiscite préalable. Une initiative dont l'adoption aurait permis d'éviter un jour le parjure et dont le refus eût mis en évidence que la Constitution, ainsi privée de l'onction du suffrage universel, n'était guère qu'un mode d'emploi de caractère provisoire.
Pour ingénieuse que fut cette solution, elle
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