Louis Napoléon le Grand
coup d'État. En réalité, les constituants ne firent que traduire dans les textes les contradictions entre les aspirations de la classe politique. Ce sont ces contradictions et le refus de les résoudre qui portaient en germe le coup d'État, sans que personne sache au juste à qui incomberait la charge de le perpétrer.
Car la situation politique est plus que confuse. Il n'existe et n'existera, au plan parlementaire, aucune majorité positive apte à se rassembler pour fournir une réponse globale aux problèmes de la société française. Ne peuvent se constituer que des majorités négatives susceptibles de faire bloc contre n'importe quelle esquisse de solution.
L'Assemblée de 1848 avait encore quelques velléités — vite réprimées — de préciser le caractère républicain du régime. Celle qui va sortir des élections, très politiques, très manichéennes, de mai 1849 est à proprement parler réactionnaire. Face à deux cents « montagnards » qui forment plutôt une mosaïque qu'un groupe compact et cohérent, on y trouve quelque cinq cents conservateurs, eux-mêmes divisés entre orléanistes, légitimistes, républicains, modérés et bonapartistes.
Il n'est d'ailleurs pas jusqu'à la légitimité de cette nouvelle Assemblée qui ne soit elle-même douteuse.
En août 1848, la Constituante avait décidé de ne se séparer qu'après l'adoption de toute une série de lois organiques venant compléter la Constitution. Le parti de l'Ordre ne l'entendit pas ainsi. Dès le 6 janvier 1849, Rateau proposa que l'Assemblée prononce sa dissolution, et qu'on sorte ainsi du provisoire. Barrot ne dissimula pas son approbation et, avec le gouvernement, suscita une campagne de pétitions en ce sens. On fit mieux encore : le 29 janvier, jour où devait être débattu le problème de la dissolution, Paris fut mis pratiquement en état de siège. La pression fut telle qu'on put parler d'un véritable coup de force.
Dès le 29 mai suivant, la nouvelle Assemblée législative était en place. La promptitude de la substitution a valeur de leçon:cette violence infligée à la représentation nationale constituait en effet un précédent, et ses responsables compromettaient par avance la crédibilité de leur défense le jour où l'on retournerait contre eux leurs propres armes. Voilà Louis Napoléon doté d'un argument tout trouvé pour en appeler un jour de l'Assemblée à la nation.
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La majorité des membres de la nouvelle Assemblée a au moins un point commun: elle vit dans la hantise des « rouges ». Gardant un souvenir horrifié des journées de juin 1848, elle craint de nouveaux bouleversements. Pour autant, sur le plan social, elle n'est prête à aucune concession.
Incapable de s'entendre sur le régime définitif à donner au pays, cette majorité s'accorde pour considérer que le régime en place ne peut être que transitoire, et adopte une attitude ambiguë, souvent teintée d'hostilité, à l'égard du président.
Elle s'oppose, cela va sans dire, aux ambitions qu'on prête à celui-ci, bien décidée à le tenir en bride et, le cas échéant, à l'affaiblir pour parer à toute menace de sa part, sans refuser alors la possibilité de faire cause commune avec les républicains qu'elle exècre. Mais, elle cherche aussi, par ailleurs, à utiliser le président, dès qu'elle perçoit, à gauche, une menace.
D'un coup d'État, il est donc, en fait, question très tôt. Mais d'un coup d'Etat que la majorité de l'Assemblée, avec la connivence ou l'appui du prince, fomenterait contre la minorité et, surtout, contre les forces du mal que cette dernière, toute divisée qu'elle soit, lui paraît incarner. Louis Napoléon ne répond pourtant pas à ses invites. Pas plus qu'il ne cède à la tentation d'arbitrer entre les multiples tendances du parti de l'Ordre.
En somme, la vie politique se réduit à la confrontation entre deux grandes factions en proie, chacune, à des contradictions internes et incapables, l'une et l'autre, de savoir au juste ce qu'elles veulent, avec un troisième partenaire qui, lui, sait très précisément où il veut aller... même s'il ne se découvre que fort peu. Il donne des gages, il navigue, il prend des coups, en rend parfois, mais ne révèle pas son jeu...
Tout l'indique, nul ne croit vraiment à la possibilité de s'en sortir par une action purement parlementaire, mais, paradoxalement, c'est Louis Napoléon qui semble être le dernier à vouloirquitter la voie de
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