Louis Napoléon le Grand
qui n'ont presque rien en commun et surtout pas l'idée qu'ils se font de leur avenir réciproque et, au-delà, de l'avenir du pays. Période de faiblesse, d'humiliation pour le président.
D'autant que Louis Napoléon, au contraire de François Mitterrand entre 1986 et 1988, ne dispose pas d'un parti puissant et organisé, capable de faire écho dans l'opinion à ses réserves, ses avertissements ou ses coups d'arrêt. Il est le dernier à être entré dans un jeu dont les cartes étaient déjà distribuées. Du coup, au Conseil des ministres, que Maupas décrit comme un véritable conseil de surveillance, il apparaît comme un intrus, alors que François Mitterrand réussira à persuader « ses » ministres que c'est leur présence, chez lui, qui est incongrue.
Alors au Conseil, Louis Napoléon intervient peu. Parfois pour une suggestion, en forme de fausse interrogation qui relève presque du sarcasme. Sa proposition, généralement, tombe à plat, tant elle paraît étrangère au fond de la discussion, voire au sens commun. Il n'en semble pas fâché: c'est sa manière à lui de prouver son existence.
Le gouvernement, très vite, s'emploie à solder la période révolutionnaire. Et achève de mettre en place les nouvelles institutions dont le principe a été décidé.
On s'aperçoit pourtant sans tarder que l'on court au désastre... La Constitution de 1848, mauvais compromis bâclé, passe aux yeux de tous, dès sa promulgation, pour complètement ratée ; pire, elle est dangereuse, dans la mesure où rien n'est prévupour régler les conflits entre le président et l'Assemblée. Conflits d'autant plus inévitables que certaines compétences sont reconnues... aux deux protagonistes à la fois.
On commet d'ailleurs un contresens sur le contenu de ce texte. Longtemps après, aujourd'hui encore, la réputation du régime présidentiel souffrira en France de ce piteux précédent, qu'on ne devrait pourtant pas considérer comme tel car ce n'est pas d'un véritable régime présidentiel qu'il s'agissait.
En réalité, la Constitution de 1848 est l'une de ces « constitutions-cocktails » dont parlait plaisamment Joseph Barthélemy. En fin constitutionnaliste, Marcel Prelot a expliqué le pourquoi de sa composition en papiers collés : « Du fait notamment de l'attitude de Cormenin qui obligea les commissaires à l'étude analytique et successive des divers articles, ses auteurs manquèrent de vue d'ensemble et d'esprit de synthèse. Ils ne surent pas choisir entre la démocratie conventionnelle, la démocratie parlementaire et la démocratie présidentielle dont, il est vrai, les types étaient au milieu du siècle dernier encore très indécis. Chaque affirmation, chaque institution s'est trouvée ainsi compromise et altérée par l'existence de principes et dispositions contraires. »
Du régime conventionnel, il y a l'Assemblée unique, laquelle va forcément se croire investie de la mission de tout régir, d'autant que les membres du gouvernement peuvent être choisis en son sein.
Du régime présidentiel, il y a la désignation du chef de l'exécutif au suffrage universel, et l'absence concomitante des droits de dissolution et de révocation.
Du régime parlementaire, il y a la compatibilité des mandats, le contreseing et la responsabilité, le droit d'entrée et de parole des ministres.
On touche là à la plus grave des contradictions : le président est responsable, mais le gouvernement l'est aussi... Qui pis est, cette Constitution, grosse de tous les conflits, est pratiquement inamendable. On ne peut en effet suivre Marcel Prelot quand il prétend que les obstacles à la révision « n'étaient pas excessifs ». N'explique-t-il pas lui-même que « l'Assemblée nationale législative pouvait durant sa troisième et dernière année émettre, si elle estimait la Constitution défectueuse et insuffisante, un voeu à la majorité des trois quarts? Dans ce cas, l'Assemblée à élire n'était pas une législative mais une constituante de neuf cents membres,comme celle de 1848. Elle durait trois mois et, après avoir accompli les réformes constitutionnelles prévues, cédait la place, conformément aux règles habituelles, à une simple législative ».
On ne saurait mieux démontrer que le système est solidement verrouillé. Et c'est la France qui s'y trouve enfermée.
Pourtant, même s'il est tentant de le faire, on ne peut faire peser sur les auteurs de la Constitution la responsabilité du
Weitere Kostenlose Bücher