Louis Napoléon le Grand
République
Le 2 décembre 1851
C'est en 1977 que, sur proposition des questeurs, le bureau de l'Assemblée nationale décida d'honorer « cet acte d'Honneur dont l'historicité est établie ». En fait la réalité fut beaucoup moins glorieuse et nettement plus banale.
Dans son Histoire d'un coup d'État, ouvrage publié en 1852 « d'après les documents authentiques, les pièces officielles et les renseignements intimes », Paul Belouino raconte:
« Vers 6 heures du matin, à l'Assemblée, le Colonel Espinasse rencontre le Chef de Bataillon Meunier auquel il dit: "Je viens renforcer la garde de l'Assemblée et en prendre le commandement."
« Le Commandant hésite, fait des objections en parlant de sa consigne. "Vous me reconnaissez pour votre Colonel? ditM. Espinasse; en cette qualité, je vous ordonne d'obéir!" Le Commandant crut devoir donner sa démission et retourna immédiatement à son logis à l'Ecole Militaire. Le bataillon de garde fut renvoyé au quartier et remplacé par les deux autres bataillons du 42 e . »
Tels sont les faits, les modestes faits...
Il y a d'ailleurs plus savoureux encore: ce défenseur de la République était, aux dires mêmes des questeurs de 1977... un royaliste. La journée du 2 décembre commence donc bien comme un vaudeville.
Pourtant toute l'affaire va mal tourner. Le bilan parisien sera terrible: six cents morts.
Louis Napoléon n'y est probablement pour rien. Mais ses doutes vont virer en remords.
Deux hommes, sur les trois qui conduisirent la suite de l'affaire sur le terrain, en portent l'entière responsabilité.
Seul, Maupas, installé à la préfecture de police pour la circonstance, a compris le moyen d'éviter toute effusion de sang. Face à une masse qui, malgré les appels à l'insurrection de Hugo, Carnot, Schoelcher et Jules Favre, est plutôt indifférente et parfois même approbatrice, la meilleure manière d'éviter les attroupements et de prévenir les affrontements que pourraient susciter certains opposants irréductibles, persuadés de se trouver dans une conjoncture identique à celle des Trois Glorieuses, c'est d'assurer dans les quartiers les plus exposés de Paris une présence militaire constante.
Mais les deux autres associés ne partagent pas cette analyse : Saint-Arnaud, qui craint de manquer à quelque moment de troupes fraîches ; Morny, car il a choisi une stratégie radicalement différente, qu'on peut bien appeler par son nom : la provocation. Morny a été installé dans la matinée du 2 à la tête du ministère de l'Intérieur. Non seulement il ne tient pas à éviter les concentrations de récalcitrants, mais il paraît même résolu à les encourager en leur laissant le champ libre, pour mieux les frapper ensuite.
Morny a-t-il songé qu'il aurait barre sur son demi-frère, en en faisant le complice d'un crime de sang? A-t-il pensé qu'il scellerait ainsi — sur un pied d'égalité — une alliance indissoluble? A-t-il songé aussi qu'il briserait ainsi le lien, insensé à ses yeux, qui pouvait encore exister entre Louis Napoléon et les tenants de la démocratie sociale ? On peut tout imaginer quand on sait combien il était froidement calculateur et déterminé.
Le résultat sera celui que l'on connaît, au grand dam de Maupas, pour qui tout aurait pu se passer sans heurt, l'affaire étant ramenée aux dimensions d'un coup d'État d'opérette. Il n'en est rien. D'autant que la malchance s'en mêle. On ne le sait que trop, lorsque la troupe et la foule — quel que soit son nombre — se font face, un simple tireur isolé peut provoquer l'affolement et la panique. Le résultat est alors quasi-certain : le carnage.
C'est ce qui aurait pu se passer en 1968, dans les rues de Paris. C'est ce qui s'est passé effectivement en 1962, rue d'Isly, à Alger. C'est ce qui s'est passé aussi sur les Boulevards, en 1851. Et l'absurdité du drame saute aux yeux, lorsqu'on prend connaissance du nombre de badauds, de femmes, d'enfants, figurant parmi les victimes...
Rue Saint-Martin, faubourg Saint-Antoine, au quartier Beau-bourg, on a laissé tout au long de la journée du 3 le mouvement se développer d'autant plus aisément que quelques échauffourées mises à part, on ne lui a rien opposé de massif. Au point de laisser les manifestants croire à l'impunité: du coup, sur les grandes artères, la foule s'est remise à circuler comme si de rien n'était. Et voilà que, prémédité ou non, l'incident éclate. On tire, la cavalerie
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