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Louis Napoléon le Grand

Louis Napoléon le Grand

Titel: Louis Napoléon le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Séguin
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charge. Et c'est sur le pire des terrains qu'a lieu la bataille.
    Qu'il ne s'agisse pas d'un massacre voulu et organisé ressort d'autres chiffres. Quelque deux cents militaires, au total, seront tombés sous les balles des émeutiers. Ce qui laisse perplexe devant les accusations portées contre la troupe, dont on expliquera après coup qu'elle souhaitait montrer de manière éclatante son zèle au service de l'ordre nouveau.
    Plus encore que la décision d'aller à l'épreuve de force, ce sont les conditions dans lesquelles elle s'accomplit qui vont peser lourd, très lourd dans la balance... A cet égard le sacrifice du député Baudin, qui se fait tuer sur une barricade pour honorer ses « vingt-cinq francs par jour », frappe, non sans raison, les imaginations.
    La gravité de l'affaire ne tient pas seulement aux maladresses parisiennes; elle résulte aussi de la réaction tout à fait imprévisible de la province. Là, le coup d'État va servir de détonateur à un vaste règlement de comptes trop longtemps différé, donnant d'ailleurs une idée de ce qui aurait pu se produire si l'on avait attendu davantage... Cette fois, entre Paris et la province, il n'y a plus seulement décalage mais malentendu. Malentendu quasi total.
    A Paris, le coup d'État paraît avoir été dirigé contre l'Assemblée — ce qui est la vérité aux yeux de Louis Napoléon.
    Le peuple, celui des ouvriers et des artisans, a peu réagi. Comme s'il ne s'estime guère concerné par une querelle entre, d'un côté, des hommes qui l'ont trompé, trahi, privé du droit de vote et, de l'autre, un président contre lequel, tout compte fait, il n'a que peu de griefs. Sans doute, est-il, parfois, presque satisfait de cette revanche qu'il prend par personne interposée.
    En province, les choses en vont tout autrement. On n'entre pas dans les subtilités et les complications parisiennes. Il existe une opposition plus tranchée que jamais entre les partisans de l'ordre et les autres. Pour les premiers, le coup d'État, c'est le signal de la remise en ordre à opérer avec d'autant plus de brutalité qu'elle a été trop longtemps contenue. Pour les autres, qui ont préparé, espéré, le grand règlement de comptes de 1852, il leur faut, sous peine d'avoir à y renoncer, l'anticiper de quelques mois.
    On va donc en découdre. Sans aucun ménagement. Le contraste est patent entre la violence et la méchanceté des affrontements en province, et le caractère presque aimable et cérémonieux de la conduite qu'adoptent les policiers de Morny — dûment chapitrés par leur ministre — lorsqu'ils se présentent au domicile des parlementaires suspects, se contentant, poliment, de leur notifier qu'ils doivent rester sur la touche... le temps que la partie se joue.
    En réalité la France profonde se retourne haineusement contre une partie d'elle-même.
    Maurice Agulhon a raison de souligner que « si partielle qu'elle ait été, la prise d'armes des départements contre le coup d'État fut l'originalité de l'épisode ». Mais il a raison aussi de reconnaître que tout cela resta fort ambigu: « Le mouvement insurrectionnel destiné à défendre la Constitution [était] en somme légaliste par sa finalité et révolutionnaire par sa méthode. Dans cette combinaison originale personne ne pouvait se reconnaître, ni la future extrême gauche socialiste, pour qui le légalisme du but était trop peu radical, ni la future République sage pour qui la prise du fusil l'était trop. »
    En fait, très vite, le coup d'État, la Constitution, Louis Napoléon ne sont plus que des prétextes. Le rapport des forces étant ce qu'il est, le conflit, d'abord confus, tourne purement et simplement à la « chasse aux rouges ».
    En passant de Paris à la province, la réaction au coup d'État change, au moins partiellement, de nature. Elle prend la forme d'une nouvelle Terreur blanche, qui est souvent une réponse à l'agitation fomentée par la gauche mais qui peut être aussi largement spontanée: l'occasion paraît belle à certains tenants de l'ordre social de procéder à des opérations punitives dont on pourrait ne pas retrouver l'aubaine avant longtemps. Cela explique que les deux camps qui s'opposent ne sont pas partout constitués en province comme ils le sont à Paris.
    En particulier, certains bourgeois et propriétaires qui, dans la capitale, auraient parfois exprimé, par souci de la légalité, leur opposition au coup d'État, prennent, localement, le

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