Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
lui accorder.
Un roi ne frappe que lorsqu’il est sûr de vaincre.
Et ce temps n’est pas encore venu.
Il faut dire à Fouquet qu’il a toute la confiance du roi.
Louis ne doit pas oublier cette leçon que lui a apprise Son Éminence le cardinal de Mazarin : un roi doit toujours dissimuler et ruser.
24.
Louis règne.
Il a le sentiment qu’il lui a suffi de ces quelques jours de mars 1661 pour que chacun comprenne qu’il décide de tout.
Il a toisé l’archevêque de Rouen, président de l’Assemblée du clergé, qui lui demandait à qui il devrait maintenant s’adresser pour régler les questions ecclésiastiques. Louis, en accentuant encore sa mimique dédaigneuse, a répondu :
— À moi, monsieur l’archevêque.
Il sait qu’il ne doit montrer ni faiblesse ni hésitation. Et cependant il connaît son ignorance. Alors il s’enferme dans sa chambre. Il étudie les dossiers que lui remettent Colbert, Le Tellier et Fouquet. Il lit ces ouvrages où l’on évoque Les Devoirs d’un souverain ou L’Art de régner , ou ce livre de Machiavel que lui a remis Mazarin.
Il doit être le Prince .
Il doit surprendre et fasciner, être craint et adulé.
Il doit savoir flatter et humilier, punir et gracier. Et il ne faut jamais oublier que chaque action, chaque parole doit être méditée.
Il dit à son frère Philippe, duc d’Orléans, dont il a voulu le mariage avec Henriette d’Angleterre, la sœur du roi Charles II :
— Mon frère, vous allez épouser tous les os des Saints-Innocents.
Il faut que Monsieur sache qu’il est destiné à obéir, qu’on le domine et ne le craint pas, au point qu’on peut lui dire ce que l’on pense de lui, et manifester le mépris qu’on éprouve à le voir parfumé, enrubanné, couvert de bagues et de colliers, frisé et poudré comme une femme, et oscillant sur ses talons hauts.
On peut se moquer de ses mignons, de son amant, le beau comte de Guiche, et même, au vu de tous, dès les lendemains du mariage de Philippe avec Henriette d’Angleterre, faire la cour à cette dernière.
C’est le printemps.
Louis a voulu que la Cour s’installe au château de Fontainebleau.
Les jours s’allongent. Il fait beau. On chevauche. On se rend au bord de la Seine. On s’y baigne. Les femmes rentrent en carrosse au château.
Louis cavalcade, parfois entouré de ses mousquetaires. Il chasse. On organise des bals champêtres. Il danse au son des violons.
Il bâille à l’idée d’avoir à retrouver Marie-Thérèse, sûrement agenouillée pour réciter ses prières, ou bien partant ou revenant de la messe, à laquelle elle assiste trois fois par jour. Pieuse et sainte épouse, mais ennuyeuse, passive, lourde de sa première grossesse, et grignotant sans fin ce chocolat qu’elle reçoit d’Espagne.
Il y a à la Cour tant de femmes parées, leurs grands chapeaux à plumes, comme la preuve de leur fantaisie, de leur audace et de leur liberté provocante.
Il est surpris, attiré par Madame, la jeune épouse de Philippe.
Comment a-t-il pu jusqu’alors ignorer que cette grande et osseuse – et même un peu bossue – jeune femme de dix-sept ans a tant de charme ? Henriette est enjouée, rieuse, danseuse et cavalière, se baignant chaque jour dans la Seine, et affichant déjà son dédain, son mépris pour Monsieur, ce Philippe, adepte du « vice italien » et qu’accompagne toujours le comte de Guiche. Pourquoi se soucier de lui ?
Louis danse avec elle, l’accompagne au bord de la Seine, l’invite à se perdre avec lui dans ses chevauchées, ses chasses dans la forêt de Fontainebleau.
Jamais, depuis sa passion pour Marie Mancini, il n’a éprouvé un sentiment aussi vif. Henriette est gaie, pleine d’allant, peut-être coquette, mais c’est un charme de plus. Il éprouve pour elle un attrait joyeux.
Il est surpris quand la reine mère lui apprend que Monsieur se plaint de cette liaison affichée entre sa femme et son frère.
Marie-Thérèse elle-même, longtemps aveugle, a été avertie, et elle aussi est allée geindre, accompagnée de ses confesseurs, auprès d’Anne d’Autriche. Et Bossuet qui commence à prêcher à la Cour condamne ces mœurs dissolues, sacrilèges.
Mais Louis est prêt à imposer ses choix.
Un roi n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. Quant à la reine, elle n’est que la première sujette, en cette qualité et en celle d’épouse, elle doit obéir. Il faut certes l’honorer, et il le fait, mais il
Weitere Kostenlose Bücher