Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil

faut surtout la contraindre. Il continue donc d’inviter Henriette à ces promenades nocturnes d’où on ne rentre qu’à l’aube.
    Et Monsieur s’indigne maintenant, fait le siège de sa mère, l’invite à s’adresser à l’ambassadeur d’Angleterre afin qu’il prévienne le roi Charles II, et que celui-ci rappelle à sa sœur Henriette ses devoirs.
    Louis hésite.
    Il a voulu ce mariage entre Henriette et Philippe pour lier Charles II à la France, et empêcher les Espagnols d’attacher ce roi à leurs intérêts.
    Louis ne peut oublier ces raisons de son choix.
    Il suffit de dissimuler, dit Henriette. Elle va choisir parmi ses suivantes une jeune femme que le roi feindra d’aimer, et Philippe et la Cour seront dupés.
    C’est un jeu nouveau, excitant, comme une comédie, une intrigue de roman.
    Et voici la jeune fille choisie.
     
    Louis voit s’incliner devant lui cette suivante d’Henriette, Louise de La Baulme Le Blanc de La Vallière. Elle a dix-sept ans, elle rougit de timidité comme une nigaude. Elle paraît sans éclat. Elle boite.
    Louis la regarde. Le trouble et la naïveté de Louise de La Vallière l’attirent. Il découvre ses yeux clairs, ses cheveux d’un blond cendré, son corps mince, et quand il lui murmure qu’il la trouve à son goût, elle répond avec l’élan de la sincérité qu’elle l’aime depuis qu’elle l’a vu, qu’elle est prête à lui donner toute sa vie.
    Il est troublé.
    Il ne sait plus s’il joue ou s’il éprouve pour Louise de La Vallière un amour naissant. C’est un sentiment différent de ceux qu’il a ressentis pour Marie Mancini ou Henriette d’Angleterre.
    Cette jeune fille est sans artifice. Elle l’émeut. Et l’amour qu’elle lui porte et auquel il commence à répondre la transfigure. Elle est radieuse, belle.
    Il veut cacher cet amour naissant, le préserver.
    Il entraîne Louise dans des promenades en forêt. La pluie d’orage les surprend, et ils sont contraints de rester longtemps réfugiés sous un arbre, rentrant au château au milieu de la nuit, les vêtements trempés, les cheveux collés à leurs visages.
    Ils se cachent encore, mais la Cour bruit déjà de cette nouvelle : le roi a une maîtresse.
    Il écoute Louise de La Vallière lui rapporter qu’on s’empresse autour d’elle, que Nicolas Fouquet lui a même fait proposer vingt mille pistoles en signe d’amitié.
    Louis s’indigne. Il sait que Fouquet séduit et corrompt. Mais l’heure n’est pas encore venue de le frapper. Il faut s’y préparer, convoquer Colbert, choisir le lieu et le moment où on pourra l’arrêter sans qu’il puisse faire appel à ses partisans. Et pour cela il faudrait l’inciter à abandonner sa charge de procureur général du parlement de Paris. Tant qu’il le demeure, il est protégé par ses pairs.
    Il ne faut donc pas éveiller ses soupçons. Que Fouquet croie que le roi ne songe qu’à aimer et à danser.
    Louis voit Fouquet au premier rang des courtisans qui applaudissent l’ouverture du Ballet des Saisons , qui se donne devant le château.
    Louis entre en scène, en compagnie de Louise de La Vallière et d’Henriette qui semble accepter son infortune. Et Monsieur danse au côté du comte de Guiche.
    Louis observe Fouquet.
    À la joie de danser entre les deux jeunes femmes, à la satisfaction que Louis éprouve à sentir l’admiration de tous ces courtisans rassemblés, s’ajoute le plaisir de dissimuler ses intentions.
    Pouvoir jouir de tout cela, c’est être roi.

25.
     
    Un grand roi doit aussi apprendre à jouir de la patience.
    Louis voudrait abattre ce Nicolas Fouquet dont la vanité et la prétention non seulement l’irritent mais le scandalisent.
    Combien de milliers de livres tournois a-t-il engloutis dans l’embellissement toujours inachevé de son château de Vaux-le-Vicomte ?
    Louis sait ce que sa mère a murmuré, et qu’on lui a rapporté.
    — Le roi, a-t-elle dit, aime à être riche et n’aime pas ceux qui le sont plus que lui, puisqu’ils entreprennent des choses qu’il ne saurait faire lui-même.
    Elle ne comprend pas qu’il ne s’agit pas de richesse mais de la gloire et du pouvoir du roi de France.
    Louis convoque Colbert. Cet homme austère et secret a mesuré le défi que Nicolas Fouquet ne cesse de lancer. Il apporte chaque jour de nouvelles preuves de l’impudence du surintendant.
    Louis l’écoute.
    Il peut lui confier la préparation de l’arrestation de Fouquet. Il faut