Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
ait vue, ne l’a pas quitté.
Elle le hante même dans cette nuit du 20 janvier 1666 alors que, seul dans ses appartements, il s’est assoupi.
Le froid le réveille. Il se rend à la chapelle entendre la messe de six heures. Tout à coup, le battement sourd de la grosse cloche de Notre-Dame résonne.
Louis tremble, traverse les salons, s’approche de la chambre de sa mère, voit venir vers lui sa cousine, la Grande Mademoiselle. Elle murmure :
— On croit la reine morte.
Un cri. C’est Philippe qui s’est effondré.
Louis entre dans la chambre.
— Est-elle morte ?
— Oui, Sire.
Comment ne pas pleurer devant le corps noirci, gonflé, de celle qui vous a donné la vie, et que la mort vient d’emporter ?
Les prêtres ont déjà envahi la chambre, en même temps qu’une foule d’officiers qui ont le droit de demeurer auprès des corps de la maison royale.
On accroche dans les couloirs et les salons les tentures noires du deuil.
Louis voudrait rester impassible, mais l’émotion à plusieurs reprises le submerge.
Et cependant il doit ordonner les cérémonies, décider que le cœur de sa mère sera, selon ce qu’elle désirait, porté au Val-de-Grâce, la chapelle qu’elle avait fait construire.
Mademoiselle l’interroge :
— S’il arrive des disputes entre les carrosses des princesses et des duchesses, comment ferai-je ?
— Comme à l’accoutumée.
— Sire, cela n’a jamais été réglé, il serait mieux qu’elles n’en menassent ni les unes ni les autres…
Il accepte.
Il doit voir, parce que le passage est un peu étroit en sortant de la chambre de la reine mère, le cercueil traîné avec des cordes. Puis on charge la bière sur un chariot. Et c’est le cortège dans un froid à fendre pierre.
Les services funèbres, à Notre-Dame, à Saint-Denis, sont interminables. Louis regarde ce cercueil sur lequel Mademoiselle a appuyé sa tête et s’est endormie !
Il doit écouter l’oraison de l’évêque : « Dieu voulait faire deux cœurs incomparables, un cœur de mère, un cœur de fils. Et du côté d’Anne d’Autriche tendresse à nulle autre pareille. Et du côté de Louis respect et amour à nuls autres pareils. »
Louis s’abandonne à l’émotion, à la peine. Sa mère ne lui a jamais failli. Il lui doit d’avoir pu régner, dès le lendemain de la mort du cardinal de Mazarin.
Et la reconnaissance des biens reçus est une des qualités les plus inséparables des âmes bien nées.
Maintenant il est vraiment seul. Il a vingt-sept ans.
Sa mère ne le morigénera plus, l’invitant à rompre avec celle-ci ou celle-là, lui prêchant de ne pas faire la guerre, fidèle à sa lignée espagnole.
Certes, depuis cinq ans, rien ni personne, pas même la reine mère, ne l’a empêché d’agir, d’aimer à sa guise.
Mais le regard qu’Anne d’Autriche portait sur lui, ses soupirs, ses pleurs, ses conseils, ses suppliques, ses menaces de se retirer au couvent ont pesé sur sa conduite.
Et Anne d’Autriche s’est souvent liguée avec son épouse, la reine Marie-Thérèse, la tante et la nièce, toutes deux espagnoles.
C’en est fini.
Marie-Thérèse, sans l’appui d’Anne d’Autriche, ne pèsera plus.
Il imposera à la Cour la maîtresse qu’il aura choisi de montrer.
Et à l’Europe la politique qu’il aura décidé de mener.
Et d’abord il va quitter le Louvre. Il ne peut plus soutenir la vue de ce lieu où sa mère est morte. Il va abandonner Paris.
Il vit quelques jours à Versailles, dans le pavillon de chasse de son père.
Mais les lieux sont inconfortables, les bâtiments trop petits. Il fera entreprendre de nouveaux travaux et, d’ici là, il vivra au château de Saint-Germain, là où il est né.
Une autre époque commence.
QUATRIÈME PARTIE
1666-1678
33.
Louis porte encore les vêtements du deuil.
Mais sur le tissu violet il a demandé qu’on couse des rubans aux couleurs vives et des flots de dentelle. Et il a voulu qu’il y ait encore plus de perles et de diamants, faisant de sa collerette une parure éclatante.
Il avance lentement.
Il a convoqué la Cour au château de Fontainebleau.
Il aperçoit au premier rang Louise de La Vallière. Elle lui semble grise, entourée de toutes ces femmes, ses rivales. Athénaïs de Montespan et sa sœur la marquise de Thianges, blondes et provocantes, mais d’autres dames d’honneur de la reine se pressent autour de Louise, toutes prêtes à
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