Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
toute la nuit, sans crainte d’être dépouillé, égorgé. Et ces rues doivent cesser d’être des ruisseaux drainant les immondices. Elles seront pavées et éclairées. Et le palais du Louvre, avec la colonnade construite par Claude Perrault, doit devenir le joyau majestueux d’une capitale digne du royaume de France et de son roi.
Mais tout cela ne suffit pas à établir la renommée d’un souverain. Or, sans la gloire, il n’est point de grand roi.
Louis le confie à Colbert dont parfois il devine que la guerre qui vient le préoccupe.
— Les princes, dit Louis, doivent avoir pour première vue d’examiner ce qui peut leur donner ou leur ôter l’applaudissement public.
Il poursuit d’une voix plus forte :
— Les rois qui sont nés pour posséder tout et commander à tout ne doivent jamais être honteux de s’assujettir à la renommée : c’est un bien qu’il faut désirer sans cesse avec plus d’avidité et qui seul, en effet, est plus capable que tous les autres de servir au succès de nos desseins. La réputation fait souvent à elle seule plus que les armées les plus puissantes.
Louis passe les troupes en revue une dernière fois avant leur départ vers la frontière des Flandres. Il veut que la Cour l’accompagne, parce que les princes et les dames doivent le voir caracoler, s’exposer au cours des sièges des villes qu’il va falloir conquérir.
Il le sait : « Tous les conquérants ont plus avancé par leur nom que par leur épée. Leur seule présence a mille fois abattu sans effort des remparts capables de résister à toutes leurs forces assemblées. »
Il prend la tête des troupes. Il parcourt les tranchées creusées autour des villes qui refusent de se rendre. Il visite les bivouacs des soldats. Il aime leurs acclamations. Il sait que ces hommes respectent en lui le roi qui s’expose aux boulets et aux mousqueteries ennemis, qui a vu mourir près de lui l’un de ses valets, que les boulets et les éclats ont frôlé, le talon de sa botte ayant été arraché par l’un d’eux, et il n’a pas tremblé.
Il entre en compagnie de la reine à Douai puis à Tournai.
Il encourage les officiers et les soldats lors du siège de Lille. Et lorsqu’on le supplie de ne point rester ainsi sous le feu de l’ennemi, il répond :
— Puisque vous voulez que je me conserve pour vous, je veux aussi que vous vous conserviez pour moi.
Il se tourne vers son frère Philippe d’Orléans qui depuis plusieurs jours participe au siège, vivant dans la tranchée.
Il lui lance :
— Diable, mon frère, je vous conseille de faire sac à terre. Allez vous reposer car vous en avez grand besoin.
La gloire, le danger sont d’abord pour le roi.
Et les villes, Charleroi, Argentières, Courtrai, Tournai, Douai, Audenarde, Lille, capitulent l’une après l’autre.
L’empereur du Saint Empire romain germanique reconnaît le 19 janvier 1668, dans un traité secret, qu’à la mort du roi d’Espagne Charles II, Marie-Thérèse, reine de France, obtiendra les Pays-Bas, la Franche-Comté, la Navarre, Naples et la Sicile, l’empereur se réservant notamment l’Espagne, les Indes et le Milanais.
Le royaume de France s’agrandit, dit Louis.
Peu importe que dans des pamphlets on l’accuse de vouloir la « monarchie universelle », de faire un acte de brigandage, une piraterie, un injuste attentat.
« L’on pourrait dire que le Roi Très Chrétien n’agit pas en cette occasion en qualité de souverain », écrivent ainsi les écrivains à la solde des Provinces-Unies de l’Angleterre et de la Suède, ces puissances hostiles.
— Je ne suis pas d’humeur à me laisser faire la barbe à contre-poil, répond Louis.
Il est entré dans sa trentième année. Il veut la renommée.
Il veut la grandeur du royaume.
Il veut la gloire et son plaisir.
35.
Louis regarde les troupes qui défilent puis ces jeunes femmes aux grandes robes de soie.
Elles se pressent dans les vastes tentes qu’il a fait dresser sur une hauteur dominant le camp où bivouaquent les soldats.
Autour de la reine Marie-Thérèse, au visage joufflu, à la peau trop rouge, aux traits lourds, les suivantes et les dames d’honneur forment une corolle éblouissante.
Il ne quitte pas des yeux Athénaïs de Montespan, au centre d’un cercle de courtisans qui rient à ses mots d’esprit.
Louis s’avance vers elle.
Le plaisir, c’est jouir de la guerre et de l’amour.
Et c’est pour cela
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