Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
n’est pas nouvelle ! Mais on la lui répète à mots couverts.
Il refuse de s’y attarder.
Il ne se sent pas en danger. Il ressent même, en imaginant les intrigues, ces jalousies qui se nouent autour de lui, ce grouillement de passions, une jouissance. Ces serpents qui s’entrelacent à ses pieds sont une autre preuve de sa grandeur inaccessible, de son pouvoir que seul Dieu peut atteindre, affaiblir ou briser.
Mais l’heure n’est pas encore venue.
Il se rend à Versailles. Les nouveaux bâtiments sortent de terre.
Il rencontre Charles Perrault qui s’incline, dit :
— Sire, l’ouvrage d’un jour égale le travail de la nature pendant deux ou trois siècles…
Puis Perrault lui tend un placet, sur lequel il a écrit quelques vers :
Ce n’est pas un palais, c’est une ville entière
Superbe en sa grandeur, superbe en sa matière
Non c’est plutôt un monde, où du grand univers
Se trouvent rassemblés les miracles divers.
Il voit Charles Le Brun, l’écoute présenter le plan et les décors des appartements.
Il y aura une succession de sept salons, évoquant la ronde des sept planètes du système solaire. Louis veut des tableaux représentant Jason, Cyrus, César, Ptolémée, Alexandre. Et il faut que l’or et le marbre y rivalisent de beauté et d’éclat.
Il s’impatiente, malgré les dizaines de milliers de terrassiers, de charpentiers, de maçons, de jardiniers, il faudra encore plusieurs années avant que les travaux ne soient achevés.
Il faut que sa détermination à embellir le royaume soit connue de tous. Paris doit être agrandie. Il faut abattre les fortifications pour que la ville n’étouffe plus entre ces murailles. Elle sera ville ouverte, n’en déplaise à Vauban qui craint que l’ennemi un jour ne s’en approche, ne la bombarde. Mais le royaume se défend aux frontières et il donne l’ordre à Vauban de fortifier les villes afin qu’elles deviennent des places fortes.
À Paris, seul le palais des Invalides, pour les soldats blessés ou vieillis, doit rappeler la guerre. Pour le reste, qu’on ouvre des boulevards, des Champs-Élysées, qu’on élargisse les rues. Et que le lieutenant général de police, Gabriel Nicolas de La Reynie, y fasse régner l’ordre et y surveille, y démasque les magiciens, les tireurs d’horoscopes, les empoisonneurs et autres sorciers et alchimistes, prêtres retournés en disciples de Satan, qui prétendent par leurs poudres et mixtures, leurs cérémonies sataniques, leurs messes noires, leurs expériences chimiques, transmuter le vil métal en or, changer un beau seigneur indifférent en amoureux soumis, un rival ou une rivale, un vieux mari en cadavres, et, s’il le faut, on sacrifiera des nouveau-nés, car leur sang peut être indispensable à la réussite de ces projets.
Louis se rend sur le chantier du palais des Invalides et, en attendant que les constructions de Versailles soient achevées, il vit souvent à Chambord, non loin des forêts giboyeuses.
Puis il rentre au Louvre ou bien au château de Saint-Germain.
Il refuse désormais de monter sur scène, d’être Apollon dans l’un de ces ballots dont il aime toujours la musique et la chorégraphie. Mais il faudrait que dans ce rôle, il atteigne la perfection, ce qui exigerait – il le confie – « une attention et un soin qu’on ne peut avoir qu’en négligeant ce qui vaut beaucoup mieux ».
Il est roi de France. Et comme l’écrit Racine, dans Britannicus , il ne peut être un Néron :
[Qui] excelle à conduire un char dans la carrière,
À disputer des prix indignes de ses mains,
À se donner lui-même en spectacle aux Romains,
À venir prodiguer sa voix sur un théâtre.
Il ne sera plus jamais acteur.
Il se contente de louer Molière, de rire de ce Bourgeois gentilhomme , Monsieur Jourdain, ridicule, et il apprécie le portrait de l’homme de qualité, ce Dorante, mesuré, qui n’est ni Misanthrope ni Tartuffe , mais un noble, savant, courtois, digne et conscient de ses devoirs.
Tel doit être un roi soucieux de la grandeur de son royaume, d’en renforcer la marine et l’armée, d’en embellir les villes, de prévoir pour les soldats blessés ce palais des Invalides, de promulguer des ordonnances de justice, de reconnaître le talent de Molière et de Racine, et, malgré les dévots, d’autoriser les représentations du Tartuffe.
Mais, quand des rebelles se dressent, comme ces bandes de paysans du Vivarais qui, craignant de
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