Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
sa chute sont le châtiment que lui a infligé Dieu pour ses péchés.
Louis est toujours agenouillé au pied du lit de la dauphine.
Les murmures de ceux qui prient sont souvent recouverts par le bruit de l’averse qui martèle avec force. Il en est ainsi depuis le début de cette année 1690, balayée par un vent glacial, des pluies incessantes. Les cultures, et d’abord celle du blé, vont en souffrir.
La disette peut venir, comment acheter du grain pour le distribuer aux plus démunis alors que les coffres sont vides, et que la création et la vente de nouveaux offices ne les remplissent pas, aussi insuffisantes que l’avait été la fonte de ces joyaux d’argent, de vermeil et d’or, cette vaisselle qui comptait tant de chefs-d’œuvre, et dont on n’a tiré que quelques milliers de pièces, vite disparues ?
Dieu veut-il le punir ?
Louis prie. Il a péché au cours de sa vie, plus que Jacques II, plus que Monseigneur le dauphin, et cette pauvre dauphine, mais Dieu le sait, il a combattu et réduit l’hérésie dans le royaume.
Il mène désormais cette vie de piété dont la princesse Palatine se moque, et qui est pourtant la seule manière de demander le pardon au Seigneur de ses fautes, et d’abord le double adultère.
Et il a choisi ce nouveau chemin grâce à Françoise de Maintenon, dont il est le seul à savoir ce qu’il lui doit.
Il prie encore, et les larmes lui viennent aux yeux en se souvenant des derniers instants de la dauphine, avant les convulsions, quand elle a avoué à Bossuet qu’elle ressentait une terreur extrême de se savoir si près de la mort.
Elle a voulu que Bossuet, à haute voix, dise qu’elle pardonnait à tous ceux qui l’avaient offensée, et qu’au cas où elle aurait causé du chagrin à qui que ce fût, elle en demandait pardon.
Mais Dieu n’avait pas retenu le bras de la faucheuse.
C’est lui le Souverain Seigneur, celui qui décide du moment.
Louis se lève, regarde le visage exsangue de la dauphine, si blanc qu’on dirait déjà celui d’un gisant de pierre.
Il sort de la pièce.
Il aperçoit le dauphin qui dans l’antichambre attend, son visage n’exprimant aucune émotion.
Louis s’approche de son fils.
— Vous voyez ce que deviennent les grandeurs de ce monde, dit-il. Nous viendrons comme cela vous et moi.
11.
Il met le pied à l’étrier et aussitôt les douleurs percent ses talons, pénètrent ses cuisses et ses reins.
Mais il veut chevaucher jusqu’à la tranchée en dépit de l’avis des médecins. Ce ne sont ni la goutte ni les boulets de l’armée ennemie assiégée dans la ville de Mons qui vont l’arrêter.
Il veut vaincre la maladie et les troupes espagnoles et hollandaises.
Il veut être encore et toujours Louis le Grand.
C’est ainsi qu’il oubliera la souffrance et la mort.
Il s’avance, accompagné par Vauban et Louvois, jusqu’à se trouver en face de la batterie ennemie.
Il toise avec mépris les courtisans qui l’adjurent de ne pas rester à découvert. Il veut s’exposer au contraire.
La seule manière de vivre quand on est roi, c’est d’être grand.
Tout à coup, le canon tonne. Des boulets tombent à quelques pas. Des hommes sont renversés par le souffle, recouverts par la terre qui a jailli. Certains ne se relèvent pas. Il reste immobile.
S’il meurt à cet instant, à la tête de son armée, dirigeant le siège de Mons, il sera pour toujours couronné par la gloire.
Il tourne la tête.
Il veut voir les visages de ses trois fils. Monseigneur le dauphin, son successeur légitime, et puis le comte du Maine et le comte de Toulouse, nés de ses amours avec Mme de Montespan.
Il lui semble que le comte du Maine est pâle, mais le comte de Toulouse, qui n’a que treize ans, s’est levé sur ses étriers.
Il aime l’expression de défi de cet enfant.
Près de lui se tiennent Monsieur frère du roi et son fils Philippe, duc de Chartres, qui lui aussi paraît exalté par le danger.
Louis l’observe. Il songe toujours à unir sa famille légitime à ses enfants qui sont bâtards, peut-être, mais de sang royal. Il faudra que la princesse Palatine, hostile à cette union, accepte que son fils bien-aimé, ce duc de Chartres, épouse Mlle de Blois, fille d’Athénaïs de Montespan, sans doute, mais surtout fille du roi.
Les coups de canon se succèdent. Des gerbes de terre, d’éclats de pierre et de métal giclent de toutes parts. Un cheval, du sang couvrant son
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