Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
supplié que le roi ne l’épouse pas, avant d’accepter d’être témoin du mariage ?
Louis pense à cela, en passant en revue un peloton de cavalerie.
Il ordonne que cette troupe change d’emplacement, s’avance au plus près des tranchées.
Quelques heures plus tard, il retrouve le peloton à la même place. Il s’étonne auprès du capitaine. L’officier répond que M. de Louvois lui a donné l’ordre de ne pas bouger.
— Mais ne lui avez-vous pas dit que c’était moi qui vous avais demandé de changer de position ?
— Oui, Sire.
Louis contient sa colère.
Il se tourne vers sa suite.
— N’est-ce pas là le métier de Louvois ? Il se croit un grand homme de guerre et savoir tout.
Il est temps de rabaisser l’orgueil de M. de Louvois.
Il ne veut plus rien tolérer de lui.
Or, maintenant que Mons est tombé, Louvois parle encore plus haut, comme si au Conseil des ministres personne, pas même le roi, ne pouvait s’opposer à lui. Il est le ministre de la Guerre victorieux, celui qui a organisé, rassemblé l’armée qui à Mons a battu Guillaume III d’Orange et d’Angleterre et a fait capituler la ville.
Louis ne peut plus se contenir. Le moment est venu. Il lance :
— Vous paierez ces ordres donnés de votre tête.
Il sait que ces mots creusent entre Louvois et lui un abîme parce que tous les ministres les ont entendus, et qu’un roi ne peut reculer.
Il observe Louvois dont le visage s’est empourpré.
Le silence est pesant, les ministres, les yeux baissés, le corps recroquevillé, se terrent. Louis a l’impression qu’il est seul en face de Louvois.
Celui-ci se lève, jette ses papiers.
— S’il en est ainsi, dit-il d’une voix sourde, enrouée, je ne veux plus m’occuper des affaires.
Il quitte le Conseil.
L’abîme entre eux ne pourra plus être comblé.
Mais il faut savoir attendre.
Louis reste silencieux quand, le 16 juillet 1691, Louvois entre dans la chambre de Mme de Maintenon pour, comme de coutume, présenter les dossiers en cours.
Louis l’écoute. La voix du ministre est voilée, le visage cramoisi. La sueur inonde son front.
Louvois parfois bute sur un mot, se reprend, jette un regard vers Mme de Maintenon, balbutie, passe ses doigts autour de son cou.
Louis l’observe. Cet homme est condamné. Sa superbe a disparu.
Il le renvoie afin qu’il se repose.
Louvois sort à reculons, trébuche.
Il est quatre heures. Il faut attendre.
Et tout à coup des murmures, un brouhaha.
Le premier valet de chambre qui annonce que M. de Louvois s’est fait saigner, au bras droit puis au bras gauche, que les médecins l’ont purgé, lui ont appliqué des ventouses, puis lui ont fait boire de l’eau apoplectique, mais que ces « eaux divines et générales » n’ont servi de rien, ni les autres remèdes.
M. de Louvois est mort sans recevoir les sacrements, de « male mort ».
Louis ne bouge pas. Dieu a choisi.
Il reçoit les courtisans.
Il dit au maréchal de Luxembourg :
— Je ne puis qu’avec déplaisir vous donner part du décès inopinément arrivé du marquis de Louvois.
Puis il sort, marchant d’un pas encore plus lent, alors qu’il se sent leste, délivré.
On l’entoure cérémonieusement, on l’observe avec avidité.
— Je suis bien persuadé de la part que vous prendrez à la perte que j’ai faite, dit-il. Je ne doute point qu’étant aussi zélé pour mon service, vous ne soyez fâché de la mort d’un homme qui me servait bien.
Il sort dans le jardin. Le crépuscule est rouge.
Il ne désire pas aller vers les fontaines comme il le fait chaque jour. Il va et vient le long de la balustrade de l’Orangeraie, d’où l’on voit le logement de la surintendance où Louvois vient de mourir.
Dieu l’a défait d’un homme qu’il ne pouvait plus souffrir.
Il voit s’approcher Monsieur son frère, qui dit :
— Je vous fais mon compliment, Sire, pour la grande perte que vous venez de faire.
Il fixe Monsieur.
— Moi ? Pas du tout. Si Louvois ne fut mort promptement, vous l’auriez vu à la Bastille avant deux jours.
Il est satisfait de la stupéfaction et de l’effroi qu’il lit sur le visage de son frère.
Un roi doit surprendre et savoir inspirer la crainte.
Il annonce qu’il a accepté que le corps de Louvois, comme sa famille le souhaite, soit inhumé dans l’église de l’hôtel des Invalides.
Il nommera le fils de Louvois, le marquis de Barbezieux, au Conseil, et
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